Hommages à Pierre Silvain

Assise devant la mer, de Pierre Silvain : au temps bouleversant du ressouvenir

Le Monde des livres, 13 novembre 2009, par Monique Petillon

Mort le 30 octobre à Paris, Pierre Silvain élaborait, dans la plus grande discrétion, une œuvre exigeante et subtile. Parmi une trentaine d’ouvrages, nombre de romans (dont le premier, La Part de l’ombre, avait paru chez Plon en 1960), un beau récit (Les Espaces brûlés, Mercure de France, 1977) et des approches de Georg Büchner (Le Brasier, le Fleuve, Gallimard, « L’un et l’autre », 2000) et de Pierre-Jean Jouve (Le Passage de la morte, L’Escampette, 2007). La reconnaissance et le succès sont venus tardivement, avec un remarquable roman, Julien Letrouvé colporteur, paru chez Verdier en 2007.

Son dernier livre, publié très peu de temps avant sa disparition, est un récit vibrant sur son enfance au Maroc et sur le lien jaloux, inquiet, qui l’unissait à sa mère. Tout est suggéré par une image obsédante, évoquée par le titre : assise devant la mer, une femme guette l’horizon, dans l’attente indéfinie d’un retour, de l’autre côté de l’océan. Derrière elle, un enfant silencieux observe sa nuque immobile, perçoit la « désillusion d’une vie inaccomplie ». Un enfant quasiment unique et très protégé : deux aînés sont restés en France, un petit frère naîtra, bientôt emporté par le croup : une petite tombe, une douleur de plus.

Le père est très peu présent dans ce récit : c’est lui qui a voulu, en 1921, s’établir au Maroc, où sa femme l’a rejoint. Des labours aux moissons, il part dès l’aube, et rentre recru de fatigue. Lorsque, bien plus tard, les parents rentreront en France, le père désœuvré sombrera dans l’égarement. La distance se creuse entre le fils et sa mère lorsque, devenu un adolescent, il l’éloigne de ce qui lui tient désormais le plus à cœur : les livres. Il en conçoit un regret rétrospectif, à l’heure du récit tardif, où « le temps bouleversé du ressouvenir » le met en face d’Angèle, la petite fille villageoise qu’a été sa mère.

Une tendresse tourmentée

En marge du récit, quelques repères marquent les « circonstances de l’Histoire » : la guerre vécue à distance, dans « l’irréalité de l’éloignement » ; en 1952, les attentats et la peur, puis bientôt la décision d’un retour définitif en France, peu avant que soit reconnue l’indépendance du pays. Des années plus tard, le fils qui travaille en Allemagne reviendra auprès de sa mère, comme pour un dernier rendez-vous. « Où que votre vie finisse, elle y est toute », dit en exergue une citation de Montaigne. La mère est là, silencieuse, à la fenêtre. Le lendemain matin, il la retrouvera morte : c’est alors seulement qu’il s’adressera à elle, dans un pudique adieu.

La tendresse si singulière et tourmentée entre cette mère et ce fils – ce jeu muet « de contrariétés et de raccommodements » – se mue en compassion, en fusion. « Comment te douterais-tu de l’obscur travail d’invention que je poursuis, de transformation et d’appropriation de toi qui es sans voix, sans souffle et sans regard ? » Et longtemps après la mort de la mère, l’image des étés disparus continuera à hanter les rêves du fils : cette femme assise, face à l’océan, les yeux fixés sur l’horizon. Et l’émotion fera place à une vision étincelante, dans « la lumière noire de l’éclipse ».

 

La mort de Pierre Silvain

Libération, 12 novembre 2009

Le romancier Pierre Silvain, l’auteur de Julien Letrouvé colporteur (Verdier, 2007) est mort le 30 octobre à Paris. Il avait 83 ans. Son dernier texte, paru au mois d’août chez le même éditeur, Assise devant la mer, est à la fois le récit d’une enfance marocaine et le souvenir de l’amour maternel. Les deux points de vue, de la mère et du fils, se relaient, puis a lieu, trente-cinq ans avant l’écriture de la scène, « Le dernier départ » : « Lorsqu’en ouvrant la porte de la cuisine, ce matin très tôt, après avoir descendu l’escalier sans bruit, je t’ai vue immobile, le dos tourné à l’entrée, sur la chaise près de la fenêtre, j’ai su que tu étais morte. » Le prochain livre de Pierre Silvain, Les Couleurs de l’hiver, sera publié en mars 2010, apprend-on sur le site de François Bon, tierslivre.net. Sur le site des éditions Verdier, on trouve quelques éléments biographiques: « Études secondaires à Casablanca, école des beaux-arts puis études de droit à Rabat, à l’issue desquelles il entre dans l’administration des Finances où il fait carrière, parallèlement à ses activités littéraires. » Pierre Silvain, qui a commencé à publier chez Plon en 1960, a été ensuite un auteur du Mercure de France. Il a écrit des fictions, des récits, des poèmes, du théâtre. Nombre de ses textes sont des hommages : à Pierre Loti (Le Jardin des retours, Verdier, 2002), à Proust (Le Côté de Balbec, L’Escampette, 2005), à Georg Büchner (Le Brasier, le Fleuve, Gallimard, 2000).

 

Décès de Pierre Silvain, colporteur et voyageur : Et de trois…

Actualitté.com, 5 novembre 2009, par Nicolas Gary

Sale temps, décidément : en l’espace de trois jours, voilà que les magazines littéraires ont vu grossir leur rubrique des chiens écrasés, en annonçant des morts d’auteurs. Et la dernière en date, c’est celle de Pierre Silvain. Mais cette dernière, confirmée par l’éditeur Verdier, touche encore plus car c’est la seconde fois en peu de temps que cet éditeur doit déplorer un décès.

Début octobre, c’est en effet Gérard Bobillier, fondateur de la maison qui s’en allait, victime d’un cancer.

Cette fois, c’est un auteur qui à 83 ans est décédé, vendredi dernier. Depuis 2002, il publiait chez Verdier, avec un dernier ouvrage, Assise devant la mer, paru en août dernier. Sa carrière d’écrivain avait connu diverses maisons, telles que Plon, Gallimard ou Mercure de France. C’est en 2007 que le grand public l’avait redécouvert avec Julien Letrouvé colporteur, qui avait été passablement acclamé par la critique.

Voyageur impénitent et ancien membre du PEN, Pierre Silvain – Pierre Duret de son vrai nom – est né « au Maroc, de parents d’origine limousine. Enfance passée dans le bled, études secondaires à Casablanca, école des Beaux-Arts, puis études de droit à Rabat, à l’issue desquelles il entre dans l’administration des Finances où il fait carrière, parallèlement à ses activités littéraires. Quitte le Maroc après l’indépendance de ce pays, en poste à Sarrebruck, avant son affectation à Paris. » (Verdier)

Philippe Duron, député maire de Caen aura été le premier a salué sa mémoire, retrouvant celui qui avait été en 2008 honoré du prix littéraire de la ville.

 

Le modeste colporteur est mort ; Pierre Silvain, écrivain

Mediapart, mardi 3 novembre 2009, par Marielle Billy

Julien Letrouvé colporteur, c’était là le titre d’un petit roman de Pierre Silvain publié chez Verdier en 2007.

Pierre Silvain est mort ce vendredi 30 octobre, et il ne verra pas son dernier livre qui sera publié chez ce même éditeur début 2010, livre dédié à Gérard Bobillier, mort lui même le 5 octobre.

Liseur très fin et très fidèle, il a écrit à propos de quelques auteurs qu’il connaissait intimement : Büchner (Le Brasier, le Fleuve), Jouve (Le Passage de la morte), Proust (Le Côté de Balbec), Loti (Le Jardin des retours). Ce ne sont pas des études mais de patientes reconstructions de l’univers des écrivains, ce sont des cheminements amoureux et attentifs.

Mais c’est par son Julien Letrouvé que je l’ai découvert, seul livre qui eut une certaine diffusion et qui le fit connaître. Nous sommes à la fin du 18e siècle, époque de petite diffusion des livres et de la lecture à voix haute…

Julien, abandonné à la naissance comme son patronyme l’indique, devenu gardien d’un troupeau de cochons, a passé sa petite enfance parmi les fileuses qui travaillent dans une « écreigne », habitation souterraine. C’est une voix féminine va entourer Julien d’un doux halot de fables et de mots : « Tous écoutaient la liseuse tenant son petit livre à la lueur d’un falot posé sur une hotte renversée, les esprits vagabondaient vers des horizons toujours bleus, des lointains tout de douceur et de promesses. »

Le jeune Julien, après la puberté quitte cet univers et devient colporteur, mais ce ne sont pas des fils et des aiguilles qu’il va vendre, chemin faisant, mais des livres. Le lecteur va le suivre lorsqu’il quitte l’imprimeur chez qui il a rempli sa boîte avec L’histoire de Fortunatus, Mélusine, La complainte du juif errrant ou des fabliaux. Puis ce sera une autre rencontre, unique et simple comme sont les rencontres, celle d’un soldat prussien qui vient de déserter l’armée au moment de la bataille de Valmy : Voss, le soldat, parle et lit le français ; Julien ouvre vite sa boîte et l’homme se met à lire, à senfuir dans la lecture à tel point que Julien craint de le perdre, « j’ai eu peur, tu étais parti si loin, loin dans les mots, mais tu es revenu » lui dit-il.
Et c’est alors une communion, par delà l’instant, qui opère, l’union de deux êtres qui voient ensemble les livres palpiter de vie, la langue battre comme un cœur et les secrets se murmurer. Puis lorsque le soldat est abattu, Julien, reprend sa route dans la neige ; et en fin d’hiver, lorsqu’il s’arrête dans une ferme, une femme, à qui il dit qu’il va « là bas », lui répond : « il n’y a pas de là-bas, ici on est au bout du monde […] et qui pourrait vous attendre, là où vous allez, plus loin que le bout du monde ? » Et Julien répond : « Celle qui lit les livres ».

Pierre Silvain est de ces écrivains discrets qui n’a jamais hésité à donner de son temps à ses lecteurs, parlant de ses livres avec retenue, tout au ravissement que certains le lisent !

Son dernier récit publié s’intitule Assise devant la mer, c’est un long poème en prose, récit d’enfance au Maroc, celui d’une relation fusionnelle mère-enfant, histoire d’initiation et de formation.

« Pourtant, aussi longtemps qu’il reste à l’attendre la nuit suivante, comme un être de peu de réalité, à même de se manifester par quelque impénétrable dessein de la puissance qui tient les fils d’une marionnette ayant pris à s’y méprendre l’apparence de la mère, la visiteuse nocturne n’est pas reparue. Ou alors, de guerre lasse, a-t-il à cet instant perdu conscience et a-t-elle profité de cet endormissement de nourrisson à l’abandon pour s’approcher du lit, dans l’irréelle pâleur de la mince étoffe où elle frissonne de tout son corps, se hisser, s’allonger après avoir écarté le drap sur l’autre corps, s’abandonner à l’étreinte, d’abord immobile, fermant les yeux, recueillie, puis animée de mouvements précipités, soudain interrompus par la voix de l’enfant qui parle et s’agite au milieu d’un rêve. C’est alors qu’elle a dû, son cœur battant à grands coups, se redresser, sauter du lit et s’évanouir ainsi qu’une apparition au point du jour. Mais la nuit s’écoule avec une lenteur, une uniformité que, maintenant qu’il est réveillé, il endure comme si elle n’allait plus finir. »