Le Canard enchaîné, 11 octobre 2012, par André Rollin
C’est une maison, rue Alban-Berg, où la vie d’une famille se déroule d’une manière extrêmement libre. Nous sommes juste avant 1968, et les mœurs – plutôt les habitudes – du père, de la mère et des trois filles sont peu compatibles avec la morale habituelle. Et c’est écrit avec une telle verve, une telle joie que les pires situations se transforment en événements cocasses et surréalistes.
D’abord, il y a le père, homme sévère et rectiligne, qui s’amuse à se déguiser en femme…, à la plus grande joie de sa fille aînée, qui le suit dans la rue. « Les gens se retournaient sur son passage et il adorait cela. Une fois où il me vit, il reprit sa voix d’homme pour me dire : “File immédiatement.” » A la maison, ce n’est pas mieux : la mère vit toute la journée nue et passe son temps à « se brosser la toison devant la glace du vestibule ». Et le père de déclarer : « Tu n’as pas de pudeur. »
Dans la maisonnée, c’est partout la folie. Érotique, bien sûr ! « On pourrait penser qu’en vivant dans ce que d’autres auraient appelé un tel “désordre” de mœurs nous étions très troublés. » Ce n’est pas le cas. Le haut lieu des débats est une « immense table toujours cirée et brillante comme un lac gelé. C’est là, je l’ai dit, que nous avions nos habitudes ».
Le temps passe, tout le monde se sépare, il y a des morts. L’héroïne – la narratrice – se retrouve, chez une amie, devant « une table noire et miroitante ». L’enfance surgit comme un éclair « Et ce que je sentis alors, à ma plus grande surprise, fut un désespoir si violent qu’on aurait dit un séisme. »
Celui que nous propose Anne Serre est plein d’allégresse et d’émotion.