Le Nouvel Observateur, 11 mars 1993, par Jean-Louis Ézine
Le prestige du chiffre 7 est imparable, sa gloire remonte à la plus haute Antiquité. Il sert à dénombrer les Merveilles du monde, les Piliers de la sagesse, les péchés capitaux, les jours de la semaine, les mercenaires de cinéma, les branches de chandelier et les nains de Blanche-Neige. Plutôt qu’aux hasards de la taxinomie, c’est donc à un privilège des dieux que l’Ardèche doit de figurer au septième rang des départements français. Telle est l’opinion soutenue par Jean-Jacques Salgon dans 07 et autres récits, ouvrage de pure flânerie où une centaine de textes aussi brefs que délicieux font tourner le manège des bonheurs perdus et des chemins oubliés, quelque part entre Aubenas et Pont-d’Ucel, dans les années d’enfance de l’auteur. On songe à Gracq, au Gracq vagabond et précis de Lettrines, fabuleux lecteur de paysages qui aurait fait du Vivarais son Italie, sans craindre le qu’en-dira-t-on à quoi vous expose fatalement toute ethnologie à base de châtaignes, de lauzes moussues et de bicoques ruiniformes ensevelies sous la marée végétale.
Mais on doit reconnaître que Jean-Jacques Salgon, fils d’un instituteur adepte des méthodes Freinet, se révèle dès son premier livre comme un extraordinaire et enjoué magicien de cette jungle cantonale dont Gaston Roupnel confessa que les routes elles-mêmes y perdaient la trace des villages, dans une sorte de chaos primordial que le poète Gil Jouanard a décrit comme un mélange de Cappadoce, de Péloponnèse et de Palestine huguenote (avec un rien de Connemara pour les tourbières). « L’austère et sinistre Ardèche » de Claudel prend ici la plus juste des revanches, dont l’argument et la lumière tiennent à la nostalgie d’un paysage tout entier remémoré. « Partout des murs qui s’effondraient, des maisons vides, des pierres, des rochers travaillés par les pluies. Mais les volcans étaient éteints, la guerre était finie. Le temps jetait le voile… » Il ne manque pas une borne-fontaine ni un coin de préau à la mélancolie farouche, laïque et républicaine de Jean-Jacques Salgon. Cet écrivain prometteur a grandi parmi les fantômes, entre les dolmens et les précipices, sans que son souvenir concède pourtant plus d’éloquence qu’il ne faut à la rituelle clabauderie des basses-cours, au chant du loriot et au couinement du vieux plumier où le gros bombyx endormi fait des rêves de soie. Du nanan, côté prose bien entendu, cette fête de la mémoire n’est que le prétexte à une ronde hallucinée dans la France des années cinquante et soixante, celle du verre de lait de Mendès, du catalogue de la Manufacture, de Marie-José Neuville et de la Dyna-Panhard. Du linoléum et des chansons de Trenet. De l’horloge futuriste et spiralesque de l’ORTF. Et d’une nationale fameuse entre toutes, qui porte elle aussi le numéro 7.