Libération Next, 6 octobre 2012, par Xavier Houssin
Formule magique
On a beau supporter tout un lot de guerres, de violences, d’injustices, de déceptions, de mensonges et de tartufferies, il est des moments où ça ne passe plus. On a la nausée. Puis un massacre en chasse un autre, un fait-divers sordide balaye le précédent, une petite phrase méprisante recouvre un propos puant. Et nos consciences révoltées continuent d’avaler des anacondas. Je pense souvent aux Idées noires de Franquin, ces planches vraiment désespérées dont Fluide Glacial a publié l’intégrale, il y a quelques années. Dans l’une d’elles, les armes de toute la terre se transforment en un gros tas de merde. On peut rêver… Mon analyste appelle ça de la pensée magique. À mon âge, ce serait plutôt signe d’immaturité. N’empêche, je ne peux pas m’empêcher d’espérer que tout puisse se régler ainsi. Je me promène toujours du côté des Grimm. Imaginant que, comme le cordonnier épuisé, des elfes vont terminer mon travail pendant que je dors et persuadé qu’à l’heure de dîner, il suffit de dire simplement « Petite table, sois mise ! ». C’est sûrement parce que cette formule (magique) fait le titre du dernier livre d’Anne Serre chez Verdier que je me suis précipité à l’ouvrir. Les histoires des frères Grimm remuent en nous, parfois, une intimité étrange. Ce court texte d’enfance, raconté à la première personne par une femme restée si proche de la fillette qu’elle a été, oscille en permanence entre un conte merveilleux un rien cruel et une fresque érotique incestueuse très inconvenante à la Pierre Louys. Petite table, sois mise ! est un livre de l’initiation et du grandir, des secrets, du sacré, de l’aptitude au bonheur et des mille façons douces d’avoir le cœur brisé. Un vrai petit miracle dans la lourde rentrée. Il suffisait d’y croire. On peut continuer à s’émerveiller.