Livres hebdo, 13 février 2004, par Jean-Maurice de Montremy

Petits meurtres sur le Nil

Quelques jours en Côte-d’Or, puis une croisière sur le Nil. Jacques Réda, de promeneur, se transforme en enquêteur fantasque. Et crée la surprise.

Le narrateur baguenaude à Auxonne (Côte-d’Or). Il aime les promenades, la bicyclette, les vieilles rues et s’amuse d’y retrouver quelques traces du jeune Bonaparte qui fut – s’en souvient-on ? – en garnison dans ce bourg paisible. Pas de problème, nous sommes bien chez Réda. Les promenades se mêlent aux réflexions. Le narrateur joue des amusantes discordances qu’introduit notre société de consommation dans le décor bon enfant des lenteurs de province.

Que dans Auxonne se trouve une troublante Clotilde, aux cheveux de star, rien de surprenant, donc. Que la blonde Clotilde se la joue américanisée, de manière ridicule, c’est normal. Que le narrateur lui fasse la cour, c’est prévisible.

Bref, non sans sourire, on goûte aux charmes d’Auxonne et au clinquant de l’agence « Faraorama » qui propose des croisières égyptiennes, à des prix imbattables. Surprise : le narrateur passe à l’acte, si l’on ose dire. Le voici en classe « luxe » sur l’improbable Ramsès III, l’un de ces bateaux qui montent et descendent le Nil avec de faux airs de Louisiane. Bonaparte, après tout, avait lui aussi ses envies d’Égypte. Clotilde, toutefois, brille par son absence. L’acte serait-il manqué ? On n’a pas le temps d’y penser.

Coup de théâtre. En une dizaine de lignes (ne traînons pas), notre ami tombe au coeur d’une intrigue paranoïaque. Les meurtres se succèdent dans la classe luxe. Et l’inquiétant lieutenant Fouad, marin d’opérette, confie l’enquête au promeneur venu d’Auxonne – lequel ne se doute pas que le décor et l’intrigue évoquent un livre fameux. Il raconte, observe et prend la poudre d’escampette, à sa manière propre, qui est celle de Réda.

Bien que l’embrouille monte à une vitesse vertigineuse, le narrateur, stoïque, refuse toutes les ficelles qu’on lui tend pour jouer les Hercule (Poirot). Il déclare, impavide « examiner un à un les mobiles des cinq meurtres en apparence indiscutables (ceux du médecin, de Mme Cr., du fakir, du policeman et du capitaine) ne me conduisit moi-même à rien […]. C’était là, je me permets humblement de le dire, des raisons de roman policier où tout se résout au prix d’une rétrospective arbitraire, laborieuse, articulée sur un commode mécanisme de mobiles, alors que de tels événements n’obéissent qu’à la préméditation ou aux foucades irrationnelles des dieux ».

Avec une préméditation tout aussi peu rationnelle, l’excursion narquoise sur le Nil devient un morceau de bravoure sur l’art et la manière de ne pas écrire un polar dont les éléments se bousculent, plus tentateurs les uns que les autres, autour du narrateur. Le dénouement, on s’en doute, répond à la même logique. Bien que ce soit du pur « rédaïsme » (inventons le mot), il convient d’en laisser la surprise au lecteur.