Marie Claire, novembre 2005, par Fabrice Gaignault
Des mots et merveilles
Dans l’argot des truands, le mat, c’est le dingue de la gâchette qui tire avant de poser les questions. Dans le tarot de Marseille, le mat est un vagabond affublé d’un bonnet à grelots et d’un animal assez étrange pour ne pas être identifié. Chez Anne Serre, journaliste à Marie Claire, c’est une carte qu’elle remarque dans un jeu et qui va la hanter au point de tourner autour, comme on le fait pour une énigme, un mot qui arrive à point pour remuer les eaux basses du souvenir enfoui, semer la zizanie au grenier de l’inconscient. Ce vagabond, c’est un revenant qui perturbe la romancière, et c’est le mot qui manquait pour entreprendre un nouveau chemin d’écriture. « Le.mat » (le point posé sur la carte comme une énigme supplémentaire) est peut-être aussi quelque chose de terrible qui est advenu autrefois à la narratrice, « effrayant fantôme du passé » resurgissant et dont on devine que le souvenir et l’esquisse d’évocation font encore très mal. Mais par-delà ces pistes, Anne Serre fait surtout la démonstration éblouissante, dans un texte bref et intense, que la littérature naît parfois d’un mot, d’une figure, d’un flash. L’intrigue au service des mots, et non l’inverse, voici après tout ce que nous souhaitons aussi à la littérature.