Sud-Ouest, 20 avril 2014, par Gérard Guégan
Une maison dans le monde
Voilà plus de deux siècles, Xavier de Maistre, mis aux arrêts à la suite d’un duel, écrivit en quarante-deux jours, me semble-t-il, le fameux, du moins par son titre, Voyage autour de ma chambre. J’y ai songé en lisant le prière d’insérer du dernier livre de Jean-Jacques Salgon, Place de l’Oie. Sauf que, dès les premières pages, on comprend que cette invitation au voyage dans la maison ardéchoise que le jeune Salgon acheta pour trois fois rien en 1973, s’apparente à ce que l’auteur lui-même appelle une « chose mentale ». Entendez qu’en plus du descriptif de ce lieu de vie, dans un style digne de Perec et de Perros, l’heureux propriétaire y raconte aussi les quarante années écoulées depuis le jour de son entrée dans les lieux. À quoi s’ajoutent d’autres récits, infiniment plus anciens, où le passé du village, Les Vans, fait figure d’un trompe-l’œil plus vrai que le vrai.
En résumé, cette Place de l’Oie, balançant entre mélancolie et espérance (l’âge, ici, n’est pas un naufrage), nous offre, chemin faisant, l’un des autoportraits les plus saisissants d’un de ces garçons qui eurent 20 ans en mai 68. Tout y passe : Rimbaud contre Hugo, Tintin sauvé par Frantz Fanon et, excusez du peu, par Simone Veil, éloge de la corrida et de l’art culinaire. De quoi se faire des amis et des ennemis. Voilà qui nous change de ces « voyageurs » qui ne mettent un pied devant l’autre qu’après s’être assurés de ne pas braver quelque interdit. Salgon est d’une autre espèce. Pour s’en convaincre, si tant est qu’on n’aurait pas été sensible à sa revigorante humanité une fois son livre ouvert, citons ses derniers mots. Il a, nous avoue-t-il, refait avec nous, ses lecteurs potentiels, la visite de sa maison afin d’« approfondir le secret douloureux qui me faisait languir ». Je vous abandonne le soin de découvrir – promis, juré, vous ne serez pas déçu du voyage – de quelle nature est ce secret. À l’évidence, Salgon ne triche pas.