Télérama, 28 février 2001, par Michèle Gazier

Voyageur de petits chemins

Parce qu’il est avant tout poète, Jacques Réda regarde le monde de biais. Aux observateurs de leur temps, aux reporters-photographes, le goût du regard frontal, de la description franche. Aux poètes les chemins de traverse, le mystère des lisières. Ce qui intéresse Réda est toujours à la marge des modes, des pratiques. Aux autoroutes, il préfère les chemins buissonniers ; à l’automobile, la bicyclette ou le train à petite vitesse. Pour preuve, ces voyages loin des tour~opérateurs qu’il raconte entre humour et nostalgie dans Le Lit de la reine et autres étapes.

Réda a le génie du détail, l’art de voir derrière les façades. Merveilleuse évocation d’une ville de cure qui ouvre le recueil… L’ennui qui suinte de cet univers clos où l’on soigne sa santé à l’eau de source et à l’oisiveté séduit le promeneur, qui se sent étranger, en perpétuelle attente d’un ailleurs dont le parfum se respire et s’inhale dans la gare même déserte.

Le mot « étape » suggère tout naturellement le mot « hôtel ». Et Réda s’en donne à cœur joie pour nous raconter ceux qu’il aime, ceux dont il oublie de rendre la clef. L’hôtel n’est-il pas ce lieu neutre par excellence où s’écrit une drôle d’histoire du voyage, de l’errance, de la solitude, de la fuite que les poètes savent mieux que personne déchiffrer ? À propos du Lit de la reine, récit qui donne son titre au recueil et relate un séjour à Cambridge, l’écrivain justifie ainsi son mode de narration : « À la place d’une relation attrayante de ce voyage, j’ai tenu à en fixer les quelques points inconsistants qui, si je les avais laissés se perdre, se nicher au hasard de rêveries plus distraites que la mienne, auraient connu le malheur d’être à jamais privés de sens et d’affection. »

Tout son projet de poète est là, dans cette phrase : privilégier ce qui échappe, ce qui charme, ce qui n’est jamais au centre du récit, au centre de la vie.

Plus que voyeur, Réda est voyant. Et il sait aussi être drôle, voire féroce, lorsqu’il raconte ses expériences d’auteur invité dans des villes étrangères pour y donner des conférences.