Transfuge, septembre 2012, par Vincent Roy

La fête à la maison

« Le sexe de papa faisait nos délices. Nous n’étions jamais rassasiées de sa vue, de son toucher. Sa forme exemplaire se dressait avec une telle autorité, les plaisirs qu’il nous dispensait étaient si vifs, que je me souviens du tapis à grosses fleurs de son bureau comme d’un jardin bien supérieur à ceux de Le Nôtre » : c’est la fête à la maison ! Il était une fois l’histoire d’une drôle de vie de famille. Trois filles (Chloé, Ingrid et la narratrice), ainsi que leurs parents s’envoient en l’air. Un par un, deux par deux, trois par trois, les cinq ensemble, ils « s’entre-saillissent ». Avec les amis en sus. Le père se déguise en femme ; la mère, qui a « le démon de l’amour », se promène nue toute la journée en se brossant la toison devant la glace ; les filles (préadolescentes) s’explorent « la motte » et se font tâter leur poitrine naissante – elles ne sont pas sans profiter, dès l’âge de raison, « l’assurance d’un agent d’assurances », du vit d’un docteur en médecine, des gamahuchages frénétiques d’une copine délurée de leur maman (cette liste n’est pas, tant s’en faut, exhaustive). Bref, on l’aura compris, dans cette tribu qui fait corps, on communique en se chatouillant, en se frottant, en se mordillant, en se pinçant, en se léchant.

Petite table, sois mise ! est un conte érotique brillant dans lequel Anne Serre exacerbe les désirs. Dans quel but ? Par un jeu de débordements – et c’est bien là tout son art –, elle veut poser l’énigme de la construction de soi. Son héroïne quitte à 15 ans son foyer torride. Elle décide de faire « exploser le coffre-fort » de son enfance « si visitée ». Elle se retrouve désormais, loin de chez elle, « privée de corps » et de sentiments. Son errance est une renaissance. Comment faire pour donner une forme à la vie ? Il s’agit de sortir d’un rêve.