DH, 21 février 2014
Affabulateur précoce
Entretien avec Antoine Wauters.
Antoine Wauters a signé, chez Verdier, un très joli texte sur l’enfance, la construction de soi et la force de la résilience.
Pour son dernier livre, Césarine de nuit, paru l’an dernier, Antoine Wauters avait été deux fois récompensé. Un prix de poésie et l’autre de roman, « parce que c’était un livre un peu hybride », sourit-il, découvrant d’enfantines fossettes. Nos mères, en librairie depuis le 9 janvier seulement, s’est quant à lui vu décerner hier le prix Première. L’occasion d’une belle rencontre avec un auteur exigeant. « C’est un métier du doute, l’écriture. C’est aussi ça qui est gratifiant dans les prix : c’est de voir que l’obstination, le travail sont utiles. »
Ce livre s’articule en trois parties, dont la première, le récit d’un enfant, s’approche encore fort de la poésie. Vous ne pouvez pas vous en départir tout à fait ?
Je me situe mal sur la question des genres. Dans la première partie, c’est vrai, c’est très poétique. Après, ça se stabilise un peu, parce que ça correspond à l’état d’esprit de ce petit garçon. J’ai besoin que l’écriture soit tonique, que ce soit une forme d’antidote. Ici, déjà, les deux mères ne sont pas au top. Une écriture du côté de la vie, pour moi, c’était important. J’ai essayé de garder l’univers mental d’un petit garçon qui essaie de faire face.
Les premières pages de Nos mères ne sont pas faciles. Vous en êtes conscient ?
C’est vrai que c’est un pari un peu risqué : je savais que les 20 ou 30 premières pages ne seraient pas évidentes. On ne sait pas qui parle, on ne sait pas ce qu’il vit réellement. Mais ça me semble refléter l’état d’esprit d’un enfant. Chez eux, la vérité et le mensonge se côtoient, leurs rapports à l’espace et au temps sont parfois flous.
Vous y êtes aussi bien arrivé parce que vous êtes resté proche du gamin que vous étiez ?
Oui, je suis resté un affabulateur. J’ai l’impression que le personnage double tout ce qu’il fait d’un discours. Le fait de mettre des mots sur les choses, qui ne sont pas très agréables – la guerre au Liban, l’enfermement dans un grenier… – ça rend la réalité tolérable. De mon enfance, j’ai gardé l’habitude de commenter les choses que je fais pour les rendre plus pimentées. Mais j’ai eu une enfance très heureuse.
D’où cela vous vient-il, alors ?
La violence faite aux enfants, c’est quelque chose qui me renverse… On ne sait jamais très bien pourquoi on écrit et je ne sais pas pourquoi ces thèmes-là m’obsèdent. Si je vois, si je sens un gosse très seul, ou devant presque jouer le rôle d’éducateur pour ses parents, je suis infiniment touché. C’est quelque chose qui peut me lancer dans l’écriture d’un texte. Je n’ai pas vécu ça, pas plus que la guerre au Liban, mais nous sommes des papiers buvards, et j’ai peut-être besoin de ça pour m’en libérer.
Dans la troisième partie, on découvre que Jean Charbel est devenu écrivain…
Ça me semblait cohérent… Il y a, à la fois, son parcours de vie, qu’on peut lire au premier degré. Et en creux, une réflexion sur la littérature. Je tenais à ce que cet épilogue soit court, pour montrer qu’il avait fait œuvre de résilience, qu’il avait dépassé ses soucis personnels pour s’intéresser à l’autre.
Dans un premier temps, vous ne dites pas où se déroule se livre. Proche-Orient, pays en guerre…
Ça rend le livre un peu universel. Je voulais que ça se passe ailleurs et il se fait que j’ai voyagé au Liban en 2009. Cela m’a laissé des images et des impressions très fortes.