Droit de cités, décembre 2007, par Willy Persello
La forêt qui cache le roseau
Marronnier de septembre, la rentrée littéraire revient chaque année avec son lot de chefs d’œuvres, d’auteurs décidément incontournables et de proses résolument modernes et novatrices. Cette année ne dérogea pas à la règle. Avec 727 romans dont 493 romans français parus entre la fin août et le début de novembre, la rentrée littéraire 2007 fut la plus abondante de tous les temps.
On la saupoudra, outre les sempiternelles remarques sur la surproduction éditoriale et autres accusations de magouilles sur la remise des prix littéraires, de quelques polémiques, dont le concept de « plagiat psychique », inventé par Camille Laurens à l’encontre du roman de Marie Darrieussecq, restera à n’en pas douter comme un bon mot faisant date.
Et les livres me direz‑vous ? Que restera-t‑il de ceux de Reinhardt, Fottorino, Dupont-Monod, Donner, Leroy, Pennac, Bouloucque, Nothomb, Haenel ou Adam ? Combien d’entre eux habiteront leurs lecteurs longtemps après la lecture ? Il serait idiot ici de jeter le bébé littérature avec l’eau du bain de la production romanesque, plus encore de dire que la littérature française est morte comme on le lit, à tort, trop souvent. Cependant, force est de constater que peu de livres marquent, même s’ils offrent un agréable moment de lecture, et que rien apparemment ne sort du lot. Il fallut 14 tours de scrutin pour déterminer le Goncourt 2007 (Les Bienveillantes en 2006 l’avaient emporté au premier tour de scrutin par sept voix sur dix) et 10 tours ainsi que la double voix du président pour élire le Renaudot…
Pourtant, derrière la vaste étendue des piles de la rentrée 2007, se cachent quelques pépites qui ravissent le lecteur assoiffé et inassouvi. Julien Letrouvé, colporteur de Pierre Silvain fut ainsi un choc. C’est la langue, somptueuse, qui d’abord envoûte ; c’est le destin de cet enfant abandonné quelques années avant la Révolution française, sa passion pour les histoires que renferment les livres, sa déambulation éperdue dans la France révolutionnaire pour colporter ceux de la Bibliothèque bleue que jamais il ne saura lire, qui touchent au plus haut point. S’est‑on tout à fait remis de ce souvenir de veillée de lecture dans l’écreigne (maisons creusées dans la terre) ? « Entre celles de toutes les autres femmes se remarquaient ses mains épaisses, terreuses, écorchées par les fenaisons et les sarclages, qui aidaient aux enfantements comme aux vêlages, frottaient et lessivaient, s’ébouillantaient ou plongeaient dans l’eau glacée des ruisseaux, sans que jamais l’on sût si elles avaient caressé d’amour, mais on leur voyait ce geste quand avant de l’ouvrir elle touchait du bout des doigts le livre. L’enfant chaque fois attendait l’effleurement furtif de la couverture bleue, comme s’il allait le ressentir sur sa peau, non pas rêche, irritant, ainsi qu’il aurait pu le craindre, il avait au contraire la légèreté d’un duvet. Après quoi, il n’avait plus conscience de rien d’autre, la femme avait quitté sa gangue de terre, sa condition miséreuse, la femme souverainement lisait. »
De ces pages toute de pudeur et de retenue qui nous ont menés loin, si loin, on ne sort plus tout à fait le même, laissant affleurer sa part de rêve et la capacité intacte d’émerveillement de l’enfance. Si bien qu’on voudrait partager ce texte avec tous ceux qui nous sont proches, faire qu’il soit lu à la hauteur du choc qu’il fut, oser écrire qu’on le rembourserait à tous ceux qui n’y trouverait décidément rien, certain au fond qu’il touchera la sensibilité de nombreux lecteurs.