La Liberté, 12 juin 2010, par Alain Favarger
Rencontre avec Géricault
Dans la mouvance de Pierre Michon, Pierre Silvain aimait les récits brefs ; longtemps portés et ardemment ciselés. De cet écrivain méconnu, récemment décédé, on publie aujourd’hui à titre posthume Les Couleurs d’un hiver, l’histoire d’Anselme, l’auxiliaire d’un peintre à l’époque de Louis XVIII. Pierre Silvain avait des affinités avec les destins de marginaux. Dans son roman précédent, Julien Letrouvé colporteur (Verdier, 2007), il suivait l’errance d’un homme à l’époque de la Révolution française. Saga étrange d’un illettré colporteur de livres, à l’origine un enfant abandonné dont la vie sera marquée par deux rencontres clés, l’une éblouissante avec une paysanne liseuse et l’autre avec un déserteur de l’armée prussienne.
Dans Les Couleurs d’un hiver, on retrouve avec Anselme la figure du marcheur et du solitaire. Fuyant l’univers étriqué et provincial de son maître, le préparateur de couleurs. monte à Paris rejoindre un ami « enfance qui fréquente le monde des artistes. On est en 1823, Géricault le météore est au sommet de son art avec ses chevaux racés, puissants et, évidemment le sidérant Radeau de la Méduse. C’est l’approche de ce génie de la peinture que l’auteur nous donne à voir tout comme le portrait très intériorisé d’Anselme, restitué ici quasiment à la pointe sèche avec une extrême précision et sensibilité. La qualité du travail d’écriture de Pierre Silvain irradié l’ensemble du texte, dont on comprend qu’il ne pouvait s’exprimer que dans la forme courte. Tant chaque mot compte et fait exulter la langue. Ce qui nous vaut quelques pages sublimes sur l’étrangeté absolue des visions d’un peintre le foutoir d’un atelier mais aussi sur l’amitié, la beauté languide d’un jardin en bord de Loire et, bien sûr, Paris.