Le Magazine littéraire, octobre 2009, par Chloé Brendlé
Au bord de la mère
Tout le livre de Pierre Silvain tient dans une image : une plage sur laquelle, d’abord éloignés, se tiennent un enfant et une femme. Comme le rappelle la phrase de Montaigne mise en exergue : « Où que votre vie finisse, elle y est toute. » Le narrateur écrit un tombeau de son enfance marocaine dans les années 1930, ainsi que de sa mère, venue rejoindre son mari, ancien des tranchées, en exil d’elle-même dans la ferme du bled. Ou comment parvenir à dire le silence croissant entre les deux, d’abord jeu puis tension, « l’amour possessif, inquiet » du petit garçon devenu adulte, sa rencontre avec la mort, et, confusément, la guerre (de la Première Guerre mondiale à l’indépendance du Maroc). Le pouvoir de l’écriture consiste dès lors à faire coïncider, progressivement, le présent et le passé, et surtout le « tu » et le « je ». Le narrateur se réconcilie avec sa mère à travers le souvenir imaginaire de la petite fille, « Zélou », qu’elle a dû être, jadis, dans un village limousin, La Geneytouse. « Il se réveille en sursaut du rêve où il est en même temps cet enfant et cette femme qui est sa mère » : la fusion fantasmée des êtres se fait paradoxalement au moment même de la séparation ultime. Et pourtant la bouleversante dernière partie n’est pas une chute pathétique, mais une boucle nécessaire opérée par la narration et la mémoire. Car le récit intimiste de Pierre Silvain dilate le temps et l’espace dans le lent déroulement de la phrase, comme une goutte d’eau que l’on s’appliquerait à écraser. Et c’est justement une goutte d’eau qui tombe de l’évier quand le narrateur découvre, affaissée, sa mère, devant la fenêtre de la cuisine.