Le Matricule des anges, octobre 2009, par Thierry Guichard

Auteur d’une trentaine d’ouvrages publiés en cinquante ans, le discret Pierre Silvain s’était distingué en 2007 en donnant chez Verdier un roman sensible et fort : Julien Letrouvé, colporteur. Plus accoutumé à la prose courte, au récit, à la poésie, à une littérature débarrassée des genres, il revient aujourd’hui chez le même éditeur avec ce que l’on pourrait appeler une évocation rêveuse. Il s’agit ici de rappeler à soi la figure maternelle et avec elle des bribes d’une enfance partagée entre le Limousin et le Maroc tout entière tenue dans l’amour que l’enfant d’alors portait à sa mère. Rassemblé en chapitres qui cristallisent chacun un moment du passé, le récit vise à renouer avec l’émotion originelle, dans une sensibilité que le style, à la limite du précieux, évite de fissurer. Une scène primitive et oedipienne fait office de noyau autour de quoi s’arrangent les souvenirs : amoureux de sa mère, l’enfant la surprend, nuitamment, enlacée au père. Si l’Histoire du siècle fait toile de fond (les tranchées, la montée du nazisme, la fin de la colonisation), elle reste en périphérie du corps maternel sur quoi la focale est faite « il est tout entier ce corps sans défense qu’il laisse retourner au corps maternel dont le même mouvement berceur qu’autrefois, quand il ne savait rien du monde autour de lui, rien d’autre que l’effleurement d’un souffle dans ses cheveux ou le duvet d’un baiser de lèvres sur ses lèvres, l’endort, tandis qu’il entend les paroles d’une chanson – un peu triste – s’éloigner, se brouiller et enfin mourir là-bas où sa mère l’attend. » Dans ses encorbellements délicats, la phrase tente de saisir ce moment de l’idylle, comme s’il était possible de recueillir dans un miroir d’eau le visage de la disparue.