Le Soir, 11 janvier 2014, par Pierre Maury
Antoine Wauters, de la poésie au roman
Entretien avec Antoine Wauters. Propos recueillis par Pierre Maury.
La langue saisit d’abord le corps et l’esprit, par son rythme, par une cohabitation faite d’évidence entre la parole et le regard, l’un et l’autre posés sur la page et déjà projetés plus loin. Antoine Wauters, dans Nos mères, confirme tout le bien qu’on pensait de lui depuis ses débuts et ses premiers prix littéraires – d’emblée le prix Emile Polak de l’Académie pour Debout sur la langue, paru en 2008, puis coup sur coup, l’an dernier, le prix Marcel Thiry et celui de la ville de Tournai. Le poète, déjà, ne se satisfaisait pas de poser les mots dans leur agencement le plus juste mais amorçait un chemin qui, par le récit, devait l’amener à ce roman. Encore fallait-il qu’il en prenne conscience.
Le passage au roman est-il une évolution naturelle dans votre travail d’écriture ?
Si on regarde ce que j’ai écrit depuis quelques années, la narration est de plus en plus présente. Sans doute parce que la poésie qui vole par-dessus les choses ne m’intéresse plus autant. J’ai envie de raconter des histoires en prise avec la réalité de notre époque. Je n’ai d’ailleurs pas l’impression que Nos mères est un premier roman au sens strict.
Si un premier roman est souvent autobiographique, celui-ci s’écarte du cliché.
C’est un jeu de miroirs mobile : la vie éclaire la fiction et la fiction éclaire la vie. Contrairement à Jean, dans le livre, je ne suis pas libanais. Je n’ai qu’une mère, je n’ai pas été adopté, et ma mère ne ressemble pas à ces êtres faibles que j’ai représentés, tant la mère libanaise que la mère adoptive. S’il y a un côté autobiographique, c’est peut-être dans le ressenti de certaines choses : l’idée d’un parcours qui peut être difficile, l’idée qu’un enfant peut dépasser des choses très dures qu’il vit quand il est jeune… Ce sont des choses qui me touchent, sans l’avoir forcément vécu de très près, et qui peuvent mettre mon écriture en mouvement.
Entre la partie libanaise et la partie européenne, y avait-il l’envie de confronter deux sociétés ?
Peut-être… J’ai imaginé l’histoire comme un roman de la résilience. Petit à petit, l’enfant parvient à dépasser les grandes difficultés qui sont les siennes. C’était intéressant de montrer le contraste. La deuxième maman a peut-être, objectivement, une vie plus facile et en même temps, la troisième partie éclaire ses problèmes.
Quel est le point de départ de l’écriture du livre ?
C’est la première phrase, signée Jean Charbel en ouverture du livre : « Enfant, quand je faisais référence à toi dans les histoires que j’inventais pour me tenir compagnie, je ne disais jamais maman, ni ma mère, mais bien plutôt nos mères. » Je ne sais pas pourquoi elle est venue. Et puis ça a été très long à écrire, même si je savais plus ou moins où je voulais aller. Le moteur, c’était une voix qui lance un texte, et j’aimais jouer sur l’idée qu’un enfant, pour faire face à une situation douloureuse, a recours à la pluralité. Sa stratégie est de s’inventer des amis imaginaires et de parler en « nous ».
Vous connaissez le Liban ?
Oui je m’y suis rendu, j’ai des amis libanais. J’avais donc l’idée de la première partie, et de la troisième aussi. Je savais que je voulais y disculper la mère adoptive. Entre les deux, la manière dont j’allais faire venir le petit Jean en Europe et comment il allait vivre les choses, c’était plus compliqué, alors que la deuxième partie, au niveau du style, était la plus facile à écrire.