L’Indépendant, 30 mars 2014, par Serge Bonnery
À nos mères
« La mer s’ouvre ici sur une ville pleine de chars et d’obus, ajoute-t-il. Pleine de charniers pleins de cadavres, et dans le fond d’un de ces trous, dit-il, dans l’un de ces charniers creusés par des barbares scandant le nom de leur Dieu, papa dort d’un sommeil de bûche »…
« Et là, amorçant en ma direction un geste qu’elle veut tendre et affectueux, je le sais, j’en suis sûr, mais qu’elle stoppe néanmoins une fois de plus pour Dieu sait quelle obscure raison, elle se met à pleurer, des pleurs de petite fille, de très vieux pleurs qui me ravagent en plein »… Il faudrait citer tout Nos mères, le roman d’Antoine Wauters. En temps de guerre, on n’entend jamais la voix des enfants. Voix fluettes, qui n’ont pas encore mué, couvertes par le fracas des bombes (PAN, PAN, PAN), le crépitement des kalachnikovs (TAC, TAC, TAC), le bruits de bottes dans la poussière des chemins pentus. Ce sont les échos de ces voix innocentes que recueille Antoine Wauters dans un livre poignant, d’une sensibilité écorchée vive. Un livre qui ne fait pas main basse sur la violence du monde à la manière du marchandage visuel des séries télévisées. Un livre qui, au contraire, creuse, fouille la violence pour tenter de la surmonter. Entre les guerres, les mères devenues folles et les pères absents, bons ou tyranniques, tués au combat ou emportés par un cancer, Antoine Wauters raconte une enfance d’où le narrateur sortira – qui sait – par l’amour. Avec Nos mères, Antoine Wauters rejoint le cercle des écrivains exigeants qui situent leur écriture aux antipodes des langues politiquement correctes. Ces mères auxquelles il rend hommage, « peut-être vont-elles juste rôder face à la mer et remuer les eaux avec de lourds bâtons, juste, avec des couteaux affûtés et des épées de colère, remuer la vase des siècles dans l’espoir de retrouver le corps de l’homme de leur vie… » Nos mères, seules, face à l’amer.