Page des libraires, septembre 2009, par Stanislas Rigot, Librairie Lamartine (Paris 16e)

Requiem

Remontant aux sources de sa propre histoire, Pierre Silvain nous offre, à l’aide d’une langue aussi ouvragée que sensible, un magnifique voyage dans les méandres de sa généalogie, dans le sillage de cette mère tant aimée et pourtant inaccessible, dans cette mémoire fuyante, à réinventer. Bouleversant.

Assise devant la mer, une femme. Quelques mètres derrière elle, un enfant. Son fils. Que regarde-t-elle ? Qu’attend-elle ? À quoi, à qui pense-t-elle ? Aucune réponse ne viendra à la suite de cette magistrale ouverture. Et lui, l’enfant, que regarde-t-il ? Qu’attend-il ? À quoi, à qui pense-t-il ? Une seule et même réponse évidente qui traversera le texte de part en part : à Elle. Sa mère. De cette scène, à la fois originelle et définitive, nous apprendrons, par petites touches, qu’elle se situe au début des années 1930 au Maroc, le pays d’adoption de cette femme depuis qu’elle a abandonné sa famille et son village (La Geneytouse dans le Limousin) pour suivre son mari. Celui-ci séduit par ce pays alors qu’il participait en tant que tirailleur à la répression des troubles du Rif, y était reparti dans l’espoir de se voir attribuer un des lots de colonisation. Il avait fini par obtenir après une année de recherche, la gérance d’un domaine et il avait alors demandé à sa femme de le rejoindre. Leur premier fils était né quelques années plus tard.

Pierre Silvain est né au Maroc en 1927 : ce petit garçon et lui se confondant un peu plus à chaque chapitre passé, il nous raconte, tout autant narrateur extérieur que protagoniste principal, cette famille et son enfance au gré d’une chronologie délicieusement flottante. Ainsi, en une poignée de courts souvenirs, il évoque aussi bien l’accouchement et sa naissance que le retour en France pour son baptême, la perte du frère, le père silencieux, souvent absent, beckettien comme il le définit lui-même, sa découverte de l’écrit ou l’éloignement progressif du Maroc et de son foyer, allant jusqu’à se projeter dans l’enfance de cette mère devenue soudainement sœur (« La petite fille et l’enfant, la mère et le fils, car c’est par le temps bouleversé du ressouvenir que tout est rendu possible, ont le même âge »). Page après page, il esquissera au travers de leurs échanges et de leurs absences une poignante déclaration d’amour à sa mère, transcendée par un style magnifique, ramassé et essentiel, d’une grande pudeur ne négligeant ni poésie ni violence, ni désir ni doute.

Malgré une bibliographie impressionnante (son premier roman, La Part de l’ombre a paru chez Plon en 196o et il sera suivi, de manière assez régulière, par une trentaine d’ouvrages), Pierre Silvain ne bénéficie pourtant pas d’une reconnaissance à la hauteur de son œuvre, même si son précédent roman Julien Letrouvé colporteur lui aura permis de bénéficier d’un bel accueil critique. Assise devant la mer est une occasion de le (re)découvrir d’urgence : avec ce récit aussi douloureux que lumineux, les éditions Verdier, qui fêtent cette année leur trentième anniversaire, ne pouvaient pas mieux illustrer leur attachement à une certaine littérature française, pétrie de terre et de racines (Pierre Michon, Pierre Bergounioux…) tout en rappelant leur exigence de qualité, Pierre Silvain soutenant la comparaison avec les auteurs précédemment cités.