Indications, septembre 2000, par J.-L. D.
Dans un bistrot désert où un poste (de télé ? de radio ?) déverse sa confuse logorrhée de stéréotypes, un client de passage bavarde avec la serveuse. De prime abord, la rencontre parait bien improbable entre cet intellectuel fatigué qui tient des propos énigmatiques et cette campagnarde méfiante qui ne semble guère accessible aux subtilités du langage et de l’esprit. Peu à peu cependant, à mesure que l’homme se dévoile et se dit, la femme se laisse capter par le ton de ses confidences et se met à l’accompagner dans sa dérive onirico-poétique. Les paroles que ces deux-là échangent passent des choses très simples – la marque d’un tracteur, un chapeau de paille sur un pédalo, les couleurs des néons d’Amsterdam – aux questions les plus compliquées – qu’est-ce que la beauté, à quoi servent les mots ? –, mais elles disent le vrai de ce que vivent les humains : leurs souvenirs d’enfance, leurs émotions d’adultes, leurs désirs inassouvis. Comme l’homme se plaît à le souligner, leur authenticité permet d’accéder à un monde « libéré des habitudes qui le rendent prévisible et ennuyeux ». On l’aura compris, s’il est l’occasion pour Olivier Rolin de montrer son talent (épatant) de dialoguiste, ce petit texte lui permet aussi de proclamer sa haine de la banalité et sa quête militante d’une langue, sensible et vagabonde. Au cas où le message ne serait pas assez clair, l’auteur clôt d’ailleurs son livre par un article Mal placé, déplacé qui dit les choses plus clairement encore : « le premier ennemi de la littérature se nomme lieu commun », et, même, si tout écrivain est un héritier, « son premier devoir est de renier l’héritage, de tenter le vain sacrilège d’une nouvelle fondation ». L’idée n’est pas neuve et peut elle-même paraître un rien dogmatique, mais, l’essentiel n’est pas là : la foi de Rolin nous touche et sa langue résonne avec une belle densité. »