Le Magazine littéraire, mai 2011, par Olivier Cariguel
Nadeau, un siècle d’écrivains
Éditeur, critique et directeur de la Quinzaine littéraire, Maurice Nadeau est une figure majeure de l’édition française. Voilà qu’il fête ses cent ans, et pour cet anniversaire plusieurs publications sont évidemment prévues. La plus passionnante est sans doute la réédition ne varietur de ses Mémoires littéraires, Grâces leur soient rendues ; mais il y a aussi Le Chemin de la vie, livre d’entretiens extraits de la série d’émission de Laure Adler « Hors-Champs » sur France Culture, complété par quatre textes critiques sur Henri Calet, Baudelaire, Balzac et Malcolm Lowry. Un livre qui reprend le titre de la première collection de Nadeau créée en 1947 aux éditions du Pavois où parurent Les Jours de notre mort de David Rousset. Le parcours de ce serviteur de la littérature est celui d’un enfant de la méritocratie : orphelin de père à 5 ans, puis pupille de la nation, Maurice Nadeau intègre l’école normale d’instituteurs, puis l’École normale supérieure de Saint-Cloud. Nommé professeur en collège, il rejoint le mouvement trotskiste, distribue des tracts à la sortie des usines et vend à la criée le journal La Vérité. Nadeau, qui avait tourné casaque devant les dérives staliniennes, ne s’en laissait pas conter. Au contact d’Adrienne Monnier, la grande libraire de la rue de l’Odéon, il découvre Georges Bataille et « l’expérimentateur » Henri Michaux. Engagé dans la résistance, il accède à la notoriété en publiant la première Histoire du surréalisme dès 1945. « Votre livre définitif, déjà traditionnel, où je vis que je n’étais pas oublié, qu’un homme avait voulu rappeler mon travail dans la vie », lui témoigna Antonin Artaud. À la Libération, Maurice Nadeau entre comme « rédacteur » à Combat, journal dirigé par Albert Camus et Pascal Pia. Il accueillera, cette fois chez l’éditeur Corrêa (et non aux éditions du Pavois, où il débuta), Au-dessous du volcan de Malcolm Lowry. Car Nadeau transporta, d’une maison d’édition à l’autre, les auteurs qu’il publiait dans sa revue les Lettres nouvelles : souvent il s’entendit dire que ses livres perdaient de l’argent, et souvent il fut prié de déménager. Son chemin intellectuel est jalonné par la révélation d’écrivains majeurs (David Rousset, Malcolm Lowry, donc, mais aussi Georges Perec, Leonardo Sciascia, Witold Gombrowicz, Michel Houellebecq…). Cet infatigable « héros du travail » (Michel Leiris) tient toujours sa maison d’édition, fondée en 1977.