Le Soir, 30 août 2000, par Pierre Mertens

« Personne ne parle comme tout le monde »

Olivier Rolin retourne aux sources de la langue.

Olivier Rolin est un grand voyageur. Plus précisément : il aurait la « sensibilité géographique ». Entendez par là que ce qu’il va chercher à Port-Soudan, ou en Russie, et autres « paysages originels », pour reprendre une expression de lui, bref : des lieux d’élection, c’est lui-même, toujours. Pour renouer avec sa mythologie personnelle.

Cette fois, une commande de France-Culture lui a permis de ne pas aller bien loin. Un bistro d’une petite ville du nord de la France lui a suffi pour camper un dialogue improbable entre une serveuse et un intello que l’on pourrait supposer, de prime abord, verbeux et pontifiant. S’écoutant parler.

Comme on pourrait craindre que son interlocutrice ne figure ici que pour lui renvoyer la balle. Lorsque les intellectuels se mêlent de faire parler « les gens simples », comme ils disent, ils se révèlent souvent ridicules, et quelquefois odieux…

Rien de pareil ici. C’est que La Langue d’Olivier Rolin ne prétend pas s’inscrire dans le champ social, si ce n’est en contrebande. Il s’agit d’une méditation poétique et, grâce à cela, d’autant plus subversive.

Un chercheur de mots et une femme « du peuple » qui se méfie grandement de ceux-ci, des pièges qu’ils tendent, des mensonges qu’ils recèlent, échangent leurs expériences. Cela ne devrait jamais marcher. Et, du reste, les répliques qui balisent cette rencontre de deux univers si éloignés l’un de l’autre, devraient sonner faux à hurler…

Pourquoi donc le drame qui se joue ici retentit-il, au contraire, si juste à nos oreilles ?

Une troisième voix interfère dans le dialogue. Collective. Massive, Médiatique. Qui distille, implacablement des informations sur l’actualité du monde. De qui émane-t-elle ? Cela n’est pas précisé, et n’a guère d’importance. C’est la vox populi, le chœur antique et perpétuel qui répercute « l’éternel reportage » ainsi qu’a dit certain poète. La prose du monde. Ou plutôt le séculier prosaïsme ordinaire.

Quand les deux autres voix laissent entendre plutôt la magie des choses et leurs accents lyriques. Car si le parcours et l’imaginaire de la serveuse ne l’ont pas entraînée au-dessus des volcans ni au fond des océans, en quête de « phosphore chanteur », comme disait l’autre, elle ne se laisse pas moins apprivoiser par son interlocuteur et bientôt le relaie dans leur recherche commune. Ils communient, à la fin, fraternellement dans une complicité qui acquiert la force de l’évidence.

Bernard Noël, tout au long de son œuvre, Jean Vauthier (Le Personnage combattant) ou Pascal Lainé (La Dentellière) ont, chacun à sa façon, souligné les enjeux de la bataille qui se livre ici. Olivier Rolin le fait, avec des moyens qui lui appartiennent en propre et une verve savoureuse. Dans une postface, il formule son credo et redit avec force combien le combat pour une langue (le français, en l’occurrence) ne se gagne qu’au prix de son inactualité, de son intempestivité.

Une guerre faite aux poncifs mais aussi les formes policées, serviles, qui autorisent et favorisent leur reconduction.

À la veille d’une rentrée littéraire, il est toujours salubre d’entendre pareil message. Un véritablevade-mecum.