L’Indépendant, 23 avril 2011, par Serge Bonnery

Maurice Nadeau, le centenaire militant des lettres françaises

Journaliste, Maurice Nadeau a débuté à Combat. Il a ensuite fondé sa maison d’édition et son journal de critique, La Quinzaine littéraire toujours publié. Une livre d’entretiens avec Laure Adler vient de paraître aux éditions Verdier de Lagrasse.

Esprit aiguisé, lecteur avide, Maurice Nadeau continue à 100 ans de marquer le paysage littéraire : éditeur et critique, lui qui a révélé tant d’auteurs cultes, de Perec à Malcom Lowry ou Kerouac, se voit comme un passeur, dont la vie se confond avec les livres.

« Pendant toute ma vie, j’ai toujours eu la bonne place pour découvrir des écrivains. J’étais à l’affût, j’écoutais, je lisais beaucoup, des manuscrits, les revues, la presse étrangère », explique ce grand Monsieur des lettres, né voici un siècle, le 21 mai 1911. « Je continue de lire beaucoup. Ma vie passe toujours par les livres, mais j’ai perdu beaucoup de mes ambitions. Je me définis comme un passeur », ajoute Maurice Nadeau, regard vif et gourmand posé sur les dizaines d’ouvrages qui parsèment les bureaux de la Quinzaine littéraire, sa tour de guet depuis près de quarante-cinq ans.

Chroniqueur à Combat

« Je fais le journal avec Omar (Merzoug), je compose le numéro, je relis les articles des jeunes qui travaillent tous bénévolement, donne mon avis sur les livres », dit-il, sans sembler remarquer qu’à son âge ce pourrait être un exploit ! « Avoir cent ans ? Je n’y suis pour rien !  », sourit-il. À l’heure où pleuvent les hommages, il avoue : « Je suis flatté qu’on s’occupe de moi. Mais je vois aussi tout le monde disparaître autour de moi, ce n’est pas marrant », dit-il, assurant ne pas être angoissé, lui qui a été opéré à 95 ans d’un anévrisme à l’aorte.

Maurice Nadeau a la carte de presse 5262, obtenue en juillet 1945 quand il était chroniqueur àCombat, avant de signer à L’Observateur, à L’Express. Il a connu Aragon, Breton, Prévert, écrit une Histoire du Surréalisme.

« Ma vie a été une suite de hasards… Je n’ai jamais réussi en tant qu’éditeur, ma maison est toujours en quasi faillite », relève-t-il sans amertume. « C’est difficile d’être indépendant mais je l’ai toujours été ».

Avant de créer sa propre maison, il a été directeur de collection chez de nombreux éditeurs. « J’ai été viré de chaque maison parce que je perdais de l’argent, Julliard, Laffont, Denoël… Mais je trouvais toujours quelqu’un pour me recueillir », poursuit-il avec bienveillance.

« Je suis très fier de certains écrivains que j’ai publiés, Henry Miller, qui m’a donné toute son œuvre. Malcom Lowry, c’est ma plus grande découverte. C’est un ami qui revenait des États-Unis qui m’a dit, tiens, il y a un poivrot qui vient de publier un livre… C’était Au-dessous du volcan,l’une des plus poignantes histoires d’amour que j’ai jamais lue ».

« Georges Perec, aussi, je suis très fier de l’avoir découvert. Il avait été refusé partout. La plupart de ceux que je publiais avaient été refusés partout d’ailleurs. Après leur premier succès, ils me quittaient aussi », s’amuse-t-il.

« Houellebecq n’a plus rien à dire »

« Mon plus grand regret, c’est d’avoir raté Samuel Beckett. Mais j’ai publié le premier article sur lui et il m’en a été toujours reconnaissant », raconte Maurice Nadeau. Quant à Michel Houellebecq, qu’il a été le premier à publier, « il est fichu pour la littérature parce qu’il a cherché à paraître, et non plus à être. Il sait trousser une histoire, mais il n’a plus rien à dire », assène-t-il, sévère.

« Le roman français perd de son influence, c’est à l’étranger que ça se passe, aux États-Unis encore mais maintenant surtout à l’Est et dans les pays du Nord », poursuit-il. « J’assiste aussi à la fin de l’édition de famille. Aujourd’hui, ce sont les finances qui dirigent », confie-t–il, soudain désabusé.

Et lui qui fut militant communiste puis trotskiste poursuit : « Je voulais changer le monde, j’étais un utopiste. Aujourd’hui j’ai baissé pavillon. Je me révolte encore mais je ne risque rien. »