Bulletin critique du livre français, mai 1997
La Douce Lumière fut publiée pour la première fois au XVIe siècle à Venise. Son auteur, l’étonnant kabbaliste Moïse Cordovero qui, si l’on en croit son nom, était originaire d’Espagne, de Cordoue, vécut et mourut à Safed en Galilée septentrionale. Il fut l’élève de Joseph Caro, l’auteur du principal code de jurisprudence rabbinique, le shoulhan aroukh, et fut probablement le maître d’un des plus grands personnages de la kabbale, Louria. Dans cet ouvrage polémique, Cordovero dévoile le sens profond de son cheminement spirituel, et son attachement à la kabbale en prenant la défense des modes d’interprétation allégorique et ésotérique de la Torah. Ainsi que le montreront les avatars de certains kabbalistes célèbres malmenés par leurs contemporains et les autorité religieuses méfiantes, il s’agit là souvent d’une vocation de souffrance. Ainsi que le rappelle le traducteur dans sa préface, les circonstances historiques dans lesquelles s’inscrit la pensée de Cordovero peuvent apporter un éclairage particulier sur son œuvre. L’expulsion des juifs d’Espagne en 1492 constitue un événement d’une violence inouïe qui provoqua le déracinement de plusieurs centaines de milliers de juifs ibériques. L’échéance prévue par les rois catholiques de Castille et d’Aragon fut fixée au mois d’août 1492. Le mois du calendrier hébreu qui correspond à août est dans la tradition juive celui de tous les malheurs d’Israël dont la destruction du Temple par Nabuchodonosor fut le premier d’une interminable liste. Or dans la conscience juive des XVe et XVIe siècles, les événements ont revêtu une signification eschatologique. La venue du Messie doit être précédée, selon la tradition juive, des douleurs de son enfantement (hevley mashiah). Le déferlement de catastrophes liées à leur expulsion a poussé les juifs à voir dans ces événements funestes les mouvements précurseurs de la Rédemption. Cordovero, dans son essai, explique qu’il s’est détourné de la voie traditionnelle du judaïsme pour se tourner vers l’ésotérisme. Dans six parties et vingt-cinq chapitres, Moise Cordovero réfute tout d’abord les objections de ceux qui s’opposent à l’étude de l’interprétation ésotérique de la Torah en invalidant l’opinion de chacun. Puis, l’auteur démontre que c’est en fait une obligation qui incombe à chacun, et qu’elle permet d’agir sur le plérôme divin. Les troisième, quatrième, cinquième et sixième parties constituent une véritable introduction à l’étude de la kabbale. Les éditions Verdier, en publiant la très bonne traduction de Shmouel Ouziel permettent ainsi au public français d’accéder à l’une des œuvres les plus originales et abordables de la littérature kabbalistique.