Communauté nouvelle, avril-mai 1986, par Maurice-Ruben Hayoun

C’était une bonne idée de traduire en français, avec une introduction générale et des notes, l’ouvrage de vulgarisation de Moïse Cordovéro, le Tomer Deborah. Le rôle joué par cet éminent représentant de la Kabbale dite spéculative n’est plus à démontrer. Les séfirot sont précisément le point central de cet ouvrage destiné à l’édification des pères de famille (ba’alé batim) de tout Israël, et ce jusqu’à nos jours. C’est dire l’importance de l’édition bilingue de cette œuvre dont on nous fait l’aubaine aujourd’hui. L’homme vaut surtout en raison de sa dimension éthique, aux yeux de Cordovéro. Il se doit, dit-il, d’imiter les séfirot et de tenter de parvenir à leur sainteté ou d’acquérir leurs vertus. Cette imitatio Dei se veut d’ordre strictement éthique et tourne résolument le dos à tout idéal philosophique. Bien que l’arbre séfirotique ressortisse en fait à la métaphysique, on sent bien ici que l’aspect purement scientifique est laissé de côté au profit de l’éthique. Il n’est peut-être pas inintéressant de signaler que Cordovéro – qui naquit vers 1520 – ne cherche guère à récupérer quelques éléments d’ordre philosophique, ceux-là mêmes que les conciliateurs de la philosophie et de la kabbale avaient repérés et par lesquels ils entendaient surmonter des contradictions apparentes entre deux expressions d’une même pensée juive par-delà les habillages conceptuels. Nous sommes très loin de l’idéal philosophico-religieux de l’auteur du Guide des égarés qui parlait de la perfection de l’âme (tiqqun ha néfésh) et de celle du corps (tiqqun ha-guf). Ce qui prime ici, c’est l’édification éthico-religieuse. Ce fait peut s’expliquer de différentes façons : Cordovéro est un kabbaliste parfait qui a suivi l’enseignement d’un grand halakhiste, Joseph Karo, le bien connu compilateur duShulhan ’Arukh. C’est aussi un fils de la première génération postérieure à l’expulsion d’Espagne laquelle fut ressentie en certains milieux, comme un châtiment venu d’En haut en raison d’une trop grande pratique des études philosophiques. Il s’en était suivi un certain relâchement de la foi. C’est à ce phénomène que Cordovéro entendait faire pièce. Cet auteur a exercé une influence considérable sur la liturgie juive en milieu séfarade. C’est à lui que nous devons l’oraison qui ouvre toute action juive de grâce. Elle commence en ces termes : En vue d’unir le Saint béni soit-il et sa Shekina… (lé-shém yihhud qudsha hu u-she-khintéh…).