Lire, décembre 2010, par Philippe Delaroche
Soit 97 feuillets d’un papier vergé où, en juin 1836 au château de Saché puis la dernière semaine de novembre à Paris, Balzac coucha « Les Deux Poètes », la première des trois parties du roman qui s’intitulera Illusions perdues – « l’œuvre capitale dans l’œuvre », dira-t-il. L’éclat de ce diamant noir le vengea de sa faillite d’imprimeur. Il envoûte sa Comédie humaine. Au-delà, il fit germer la vocation d’écrivains à venir – Oscar Wilde, Marcel Proust ou Maurice Blanchot – pour en citer trois sur mille. Comme l’encre dont lui-même maculait papier et manches de chemise, à contempler chaque folio reproduit dans cet extraordinaire ouvrage, augmenté de l’édition imprimée « Furne » qui, en 1843, réunit la trilogie (avec « Un grand homme de province à Paris », « Ève et David »), le lecteur se laisse absorber par la calligraphie torrentueuse du démiurge. Il n’a plus que quinze ans à vivre ! Dans sa présentation, Stéphane Vachon relève la « formidable impression de vitesse » de ce manuscrit, pourtant « calme ». Sur ses amendements et ajouts, Balzac s’est expliqué pour l’éternité : « Chaque écrivain est obligé de se faire sa langue, comme chaque violoniste est obligé de se faire son « son ». […] La correction, la perfection du style existe, mais au-delà de l’originalité, après avoir traversé les faits, non en deçà. »