Revue philosophique de Louvain, mai 1981, par André Reix
Maïmonide, comme plus tard saint Thomas d’Aquin, entreprend de réconcilier la foi et la raison, en particulier dans la recherche de la connaissance de Dieu, en utilisant la méthode de contradiction. D’après certains historiens, cette entreprise semble avoir échoué. Charles Mopsik a tenté d’exhumer cette œuvre majeure du musée où elle végétait, en modernisant quelque peu la traduction de Salomon Munk : suppression des notes abondantes et des commentaires de celui-ci, tout en conservant les explications indispensables, transcription en caractères latins des multiples expressions hébraïques, ajout de titres aux différents chapitres, rectification de tournures de phrases datant du siècle dernier, et surtout, à la suite du Guide, publication de la traduction du Traité des huit chapitres qui constitue un important complément, bien que resté longtemps introuvable, enfin un index général, très utile pour retrouver les thèmes des deux œuvres. Cela fait un gros volume que tout philosophe se doit d’étudier de près.
Incontestable figure du judaïsme rabbinique et, en même temps, philosophe formé aux rigoureuses méthodes aristotéliciennes, Maïmonide propose, dans la seconde moitié du XIIe siècle, une religion naturelle, épurée des superstitions, en rationalisant l’étude de la Bible et du Talmud qu’il dégage ainsi de l’autorité et des dogmes des institutions juives, afin de combler l’écart entre la tradition religieuse et le développement scientifique de son temps. C’est ainsi qu’il admet un accord entre Aristote et les rabbins à propos de l’existence de Dieu et du gouvernement des créatures, donnant de préférence raison au premier au sujet du commencement et de l’éternité du monde. L’ange est un être spirituel, un dieu, donc un intermédiaire entre Dieu et les hommes, notion que nous retrouvons plus forte et plus vivante dans la philosophie iranienne et, naturellement, dans la théologie catholique. Ses explications de la loi divine et des prophéties, par exemple, sont extrêmement curieuses et peuvent être, en toute rigueur, acceptées par les exégètes modernes : sens allégorique de la prophétie, style figuratif des prophètes dont parlera Pascal, Dieu comme cause directe de tout, le mal comme privation du bien, etc. Nous retrouvons les mêmes thèmes appuyés des mêmes concepts chez les grands scolastiques du XIIIe siècle.
Le Traité des huit chapitres synthétise l’éthique aristotélicienne et la morale juive traditionnelle. C’est en fait un traité de psychologie et de psychothérapie. Maïmonide parle de l’âme humaine et de ses facultés, des maladies de l’âme et de leur traitement, de l’homme vertueux et du sage, enfin du naturel de l’homme comme prédisposition, avec entière liberté.
Le but ultime de Maïmonide est d’atteindre la vraie sagesse qui, dans un sens personnaliste, est recherche de la perfection de l’homme à la fois intellectuellement et moralement, c’est-à-dire par la connaissance des vérités philosophiques et par le respect de la Loi. Une telle perfection se rattache donc à l’essence de la personne puisqu’elle est conforme à son âme et à la constitution de son corps, en nous permettant de « concevoir des choses intelligibles qui puissent nous donner des idées saines sur les idées métaphysiques », la fin dernière étant pour l’homme de connaître Dieu et d’imiter ses actions. L’instauration d’une société réellement humaine en dépend. Nous découvrons du même coup l’originalité, la puissance et la modernité du projet maïmonidéen. Les courtes préfaces de Claude Birman et de Franklin Rausky sont à cet égard significatives.