Elle, 25 octobre 1999
Deux sœurs inoubliables
Sœurs est une histoire de sœurs, et celles-ci vont beaucoup aimer la lire. Mais Sœurs peut plaire aussi à la lectrice et au lecteur élevé sans frère ni sœur. C’est dire que ce roman touche à tout, embrassant en 188 pages l’Italie post-mussolinienne, dont Maria et Isabella incarnent, chacune à leur manière, un visage. Le livre de Cristina Comencini est un duo de sopranos, où jouent en sourdine les voix de basse des parents, des amants, de l’Histoire. Enfants des années cinquante et de la bourgeoisie romaine, les deux fillettes, si différentes en apparence, vont se lier à l’âge adulte plus étroitement encore l’une à l’autre, prises au piège de leurs engagements politiques de jeunesse et de leurs idéaux déçus. À Maria la raisonnable, tentée par une existence conventionnelle et rangée, un mariage sans passion. À Isabella la rêveuse, éprise d’indépendance, la solitude. Maria se protège, pèse et réfléchit, Isabella se jette, se trompe, souffre. « Était-ce là la vie que j’avais voulue ? », dit Maria. « Ce qui nous semblait beau avant est devenu laid et honteux», répond Isabella. Après qu’Isabella a disparu en mer à 30 ans, aventurière suicidaire, Maria se fait le scribe de leurs rêves d’enfants, de leurs souvenirs, de leur amour : « Je suis une chercheuse de pépites, je collectionne des fragments précieux, les intersections entre nos deux vies, mes pensées à son sujet, ces émotions soudaines qui mettent fin aux mois de silence de mon cœur, aux années d’absence. Je dilate le temps pour ne pas arriver à l’épilogue qui jamais ne me laisse en paix. […] Aujourd’hui encore, j’essaie de l’imaginer en voyage. Mais je ne retrouve au monde nulle trace de son existence. La planète me semble éteinte comme mon cœur. » Lisez-la !