Indications, avril 1995
La mode aujourd’hui est à la « novélisation », entendez à la réécriture sous forme romanesque et supposée littéraire d’un scénario. Soit l’exact contraire de l’adaptation traditionnelle d’un roman en langage télévisuel. Mais conçu hors de ce contexte d’une filiation directe entre les genres, le premier roman de Cristina Comencini montre à quel point le cinéma et la littérature peuvent se féconder l’un l’autre. Fille de Luigi, le cinéaste bien connu, elle-même auteur de plusieurs scénarios, Cristina Comencini propose avec Les Pages arrachées un roman parfaitement accompli et parfaitement cinématographique : dialogues incessants, choix des décors, atmosphères contrastées, on « voit » sans mal les personnages et leurs déambulations, on les entend, cependant que bien loin d’arracher les pages, on ne peut s’empêcher de les tourner. Comencini n’a pourtant pas choisi la facilité. Son roman présente une analyse d’une rare qualité des rapports familiaux, tout en nuances, avec un don d’observation des plus aiguisés, sans thèse ni préjugés. Il est donc question d’une jeune fille sage, et de son brusque changement de comportement. Répercussion sur tous les membres de la famille, sur le père en particulier, qui se verra bien malgré lui entraîné à voir ce qu’il ne voulait pas : un monde de jeunes paumés, marginaux, et jusqu’à ce monde de la délinquance et de la violence. La vie a dérivé, le chemin de l’adaptation est long, un roman n’y suffit sans doute pas, même s’il a pris sans détour le chemin d’une difficile compréhension de ces êtres qui n’arrivent plus à se parler.