Reg’arts, octobre 1999, par Valérie Hernandez

La fille du cinéaste publie son troisième roman chez Verdier. Un regard de femme sur la révolution en politique. Ce beau visage nous est connu : Cristina Comencini jouait dans le Casanova de Luigi Comencini, il y a très longtemps. Romancière, elle sort chez Verdier, dans la collection « Terra d’altri » un roman classique, fluide, où tout est au service de l’intrigue, sans discours, sans pose, sans commentaires sur le motif et la fabrique de l’écriture, selon la manière si française. Autant dire que ce livre est un plaisir simple.

Maria et Isabella sont deux sœurs. Le livre démarre pendant leur enfance dans les années cinquante ce qui fait d’elles les héroïnes forcées, à 20 ans, de l’embrasement marxiste dont beaucoup sont revenus meurtris, éclopés à vie. « C’était mon destin : tous les garçons que je rencontrais me parlaient tôt ou tard de Marx et Lénine », écrit Maria.

Sœurs est la chronique de l’amour de deux inséparables quoique contraires, le récit de deux trajectoires : celle assurée et inquiète à la fois de Maria, l’aînée solide, prudente, structurée (c’est elle qui écrit, c’est elle qui survit) et celle, fulgurante, maudite, d’Isabella, sur l’orbite du malheur malgré sa flamboyance (elle était la plus douée pour la vie, mais elle meurt en mer, trop jeune). « Je ne comprenais pas pourquoi tout le monde ne tombait pas amoureux d’elle », écrit Maria.

Sœurs est aussi le livre du regard des femmes sur la révolution. Sur cette question-là, il laisse une impression très forte. « Ces années politiques, ces années de notre jeunesse, n’ont pas changé le cours de ma vie. Elles me semblent lointaines et creuses les paroles… » Le récit de la désillusion après 1968 peut presque passer, désormais, pour convenu. Ce qui est plus intéressant, c’est qu’elle s’exerce ici sur le mode féminin, sans doute le moins explicite. On comprend que pour ces deux femmes, l’intuition de l’échec était inscrite dès le début de la révolution tandis que les hommes opposaient à la désagrégation du rêve, une volonté enfantine. Principalement parce que les révolutions des hommes ne s’intéressent pas aux choses de la vie. Une scène clef du livre montre Isabella dans un festival de l’Unita. Attablée avec son compagnon à la cantine du meeting, elle s’aperçoit que son voisin est en train de violenter sa fillette maigre et maladive en la mordant (!). « Que devons-nous faire ? » lui ai-je demandé. Au bout d’un moment, il m’a répondu : « Que sais-tu de leur vie ? Comment peux-tu le juger ? »

Ce fut la fin de son amour, et la fin aussi, pour elle, d’une révolution qui rêve de libérer ce fameux prochain, mythique, au mépris du plus proche.