Revue de théologie et de philosophie, 1996, par Pierre-Yves Ruff

Au XIIe siècle, Maïmonide écrivit aux communautés juives de Provence, les désignant comme seules aptes à conserver et transmettre l’héritage de la Torah. Celles-ci se sentirent en conséquence redevables de la garde et de l’étude de l’œuvre même de Maïmonide. Le Rouah hen est simultanément l’attestation du climat intellectuel qui s’ensuivit, et l’une des premières œuvres visant à exposer et expliciter ce que le maître avait légué dans son célèbre et difficile ouvrage, Le Guide des égarés. Les projets du disciple sont donc très proches de ceux du maître. Adossé à la physique d’Aristote – qu’il reprend non sans quelques écarts –, il cherche à exposer les principes dégagés de la connaissance de l’étant, pour situer les commandements du Créateur dans l’ordre même de la création. Ce traité devient ainsi le résumé d’une époque de la philosophie. Dans une étude très classique et des plus solides, Smilévitch fait œuvre d’exégète et d’historien. Une fois l’ouvrage replacé dans son contexte, il étudie minutieusement les hypothèses d’attribution de ce texte, la progressivité de sa composition, pour résumer d’un trait la visée de l’auteur : « Dire le réel et son ordre. » Il est clair que ce réel est compris à partir de catégories qui ne sauraient être nôtres. Toutefois, Smilévitch montre bien comment la démarche elle-même, soucieuse d’éviter de plier la nature à l’enseignement de la Torah, mais cherchant comment celle-ci s’insère dans une physique et une psychologie générales, demeure méritoire jusque dans son échec. Ainsi, ce petit livre, dû à quelque auteur médiéval à l’identité incertaine, offre un accès facile à toute une époque de la pensée.