Bifi, décembre 2009, par Delphine Robic-Diaz
Cinéma contre Spectacle fait suite à Voir et Pouvoir. L’innocence perdue : cinéma, télévision, fiction, documentaire publié en 2004 également aux éditions Verdier. Avec Cinéma contre Spectacle, Jean-Louis Comolli, critique, réalisateur et enseignant, fusionne ses trois rôles dans une approche globale du cinéma, en tant que pratique culturelle collective ayant dérivé en indigent divertissement de masse sous la pression des flux de programmes télévisés.
Découpé en cinq chapitres (« Ouvrir la fenêtre ? », « Inventer le cinéma ? », « Filmer le désastre ? », « Couper la figure ? », « Changer de spectateur ? »), l’essai « Cinéma contre Spectacle » ne constitue que la première moitié du livre. Ces cinq textes contemporains viennent reprendre les thématiques et répondre aux interrogations qui animaient déjà la réflexion menée par Jean-Louis Comolli sur le cinéma au début des années 1970. La seconde partie de l’ouvrage est composée des six textes qu’il avait publiés en 1971-1972 dans les Cahiers du cinéma sous le titre « Technique et Idéologie », ici divisés en cinq chapitres : « D’une origine duelle », « Profondeur de champ : la double scène », « La profondeur de champ « primitive » », « Effacement de la profondeur / avènement de la parole », « Quelle parole ? » (textes généralement assortis de dessins, gravures et photogrammes d’époque).
À près de quarante ans d’intervalle se tisse donc la continuité d’une pensée, véritable exercice de style pour un auteur qui traite justement de cette « impression de continuité » créée aux yeux du spectateur par les techniques cinématographiques. Jean-Louis Comolli écrit sur le cinéma à la manière d’un cinéaste : les idées sont numérotées comme autant de plans montés cut au sein d’une trame discursive générale et le recours à l’archive permet d’installer le propos dans le temps (archives constituées par ses textes anciens mis à distance, prouvant par cet effet de remploi des idées qu’une fois de plus raisonner sur le passé finit toujours par interroger le présent).
C’est en reprenant ses textes des années 1970, époque à laquelle le grand écran apprenait à cohabiter avec le petit dans la pratique spectatorielle du public, que Jean-Louis Comolli démontre combien il (y) avait (de) raison(s) alors de s’interroger sur le rapport des techniques (et non seulement du récit) à l’idéologie. Car ce sont ces mêmes techniques qui, adaptées au medium télévisuel contemporain, conditionnent actuellement les filtres de perception du réel. L’approche de Jean-Louis Comolli est particulièrement captivante sur des aspects aussi pointus et nécessitant la maîtrise de nombreux outils conceptuels (vocabulaires techniques, références filmiques, écrits et auteurs théoriques, notamment). Sans doute parce qu’il a l’art d’aborder en amateur (au sens de « celui qui aime ») éclairé tant les réalités que les abstractions et autres virtualités audiovisuelles.
Cinéma contre spectacle s’affirme donc comme un manifeste engagé pour la préservation d’une « voix » en disparition : celle d’un « spectateur critique » capable de percevoir les limites imposées à son regard et à son écoute par la forme même du spectacle cinématographique.