Charlie hebdo, 30 janvier 2013, par Laurent Joly

Archives filmées

Le téléspectateur est submergé d’images sur la Seconde Guerre mondiale. Mais que valent ces images, souvent colorisées, sorties de leur contexte et défilant à un rythme trépidant ? Dans son essai, rigoureux et brillamment écrit, Sylvie Lindeperg poursuit une réflexion, engagée de longue date, sur cette source historique qu’est l’archive filmée.

L’idée de la vérité révélée par l’image est une illusion, note l’auteure. L’image a elle-même une histoire, et elle n’a de sens que parce que l’on y projette un savoir historique. Les procédés actuels du documentaire grand public (Apocalypse en première mire) font à cet égard l’objet d’une critique implacable.

Le cœur de l’ouvrage est consacré à quatre histoires de tournage en 1944. Ainsi, La Libération de Paris, tournée au cœur de l’événement, dont la réalisation, toute à la gloire du peuple parisien et du général de Gaulle, a fixé « durablement un imaginaire collectif de la Libération de Paris » : l’examen attentif des rushes fait apparaître les choix opérés et les significations occultées de l’événement. Ou Lager Westerbork, sorte de « film d’entreprise » tourné dans le camp de transit pour Juifs et Tsiganes de Westerbork en Hollande, dont les rushes (sans le son) ont été conservés : alors que le scénariste, un interné juif, s’attache à mettre en valeur le commandant du camp, le réalisateur, également interné, enregistre sans le savoir des images pour la postérité, tels l’unique séquence connue représentant le départ d’un convoi vers l’Est ou le visage iconique dune petite Tsigane, dont le regard intense incarne à jamais la douleur des victimes à la veille de leur anéantissement.