Livres hebdo, 9 novembre 2007, par Jean-Maurice de Montremy
Une voix hors champ
Verdier publie la première traduction française du poète Eugenio De Signoribus. Une poétique politique d’autant plus forte qu’elle vient du silence.
On appelle convers – conversus en latin chrétien – celui qui s’est retiré du monde pour mener une vie plus religieuse. On appelle aussi frère convers, en langage d’église, celui qui se voue au travail manuel ou aux charges de service : un moine plus humble que ceux dont les jours sont consacrés uniquement à la prière et à la méditation. Le convers reste, en effet, au contact du monde et du bruit. Il n’est pas au centre du chœur, mais à sa périphérie.
Eugenio De Signoribus n’a donc pas choisi au hasard ce titre – Ronda dei conversi, Ronde des convers – pour composer son cycle de poèmes entre 1999 et 2004. Né en 1947 dans un village des Marches, sur la Côte adriatique, il y réside toujours. Il vit « hors champ », expression qui lui est chère. Comme l’explique Martin Rueff dans sa version de Ronde des convers, première traduction française de Signoribus, ce retrait permet au poète de s’engager d’autant mieux dans les angoisses du monde. Les errants, les inconnus sans maison, sans identité, ne cessent de frapper à la porte du convers, qui leur ressemble… comme un frère.
Sur la rive de l’Adriatique échouent de longue date les exilés, chassés par la guerre ou la pauvreté. Depuis son premier recueil, paru en 1986, le « senzacasa » – le « sans maison » –, est l’une des figures centrales d’Eugenio De Signoribus. Image de l’homme ou de la femme bien réels que l’histoire et la société ballottent vers les marges. Image de la condition humaine, également. Ronde des convers se présente comme un septénaire, un cycle fondé sur le chiffre sept, sept parties regroupant plusieurs pièces, très ordonnées. On peut y voir la ronde des enfants, mais aussi celle des humains, tournant et chantant autour d’un centre absent. On y retrouve les cercles que Dante parcourt dans La Divine Comédie.
Ces sept volets sont précédés d’un portique : « Prémisse Promesse ». Le poète y dit sa solitude, l’écart entre le monde alentour et les images audiovisuelles qui en font un spectacle. Vient alors le septénaire, puis un « Congé » de trois quatrains par lequel le poète salue le lecteur. Il reprend ensuite son pèlerinage vers le silence après s’être joint à la ronde. Entre-temps, on aura parcouru avec lui les sept « séquences » où s’expriment les désarrois, les désirs et les attentes de ceux qui sont réduits à n’être montrés qu’en foules ou visages anonymes.
Rien n’est laissé au hasard chez Signoribus. Il compose sa Ronde avec la rigueur d’une partition, variant les niveaux de langage : archaïsmes, régionalismes, néologismes mais aussi « quasi-prose » d’une pureté classique. Ce qui lui permet de s’exprimer, précise Martin Rueff, sur trois « portées » : la portée politique, la portée religieuse et la portée poétique.
Ronde est présentée en version bilingue. La version française résout avec élégance et intensité les problèmes les plus complexes. Martin Rueff propose, de surcroît, à la fin du livre, d’indispensables notes qui, poème par poème, permettent d’apprécier toutes les nuances.