Livres hebdo, 5 décembre 2008, par Sean James Rose

Hérodote, père de la prose

Apologie de l’historien grec par l’essayiste anglais Thomas De Quincey.

Né à la fin du Ve siècle avant J.-C., Hérodote est considéré comme le père de l’histoire mais aussi des mensonges. Car s’il a bien conduit ses recherches selon ses propres observations – il voyagea en Asie Mineure, en Grèce et en Égypte –, il intégra à son étude les anecdotes comme les mythes de ceux qu’il devait rencontrer lors de ses périples. À l’époque de Thomas de Quincey (1785-1859), la mappemonde n’a que peu à voir avec l’oikouménè, « le monde habité », d’Hérodote où la Libye assimilée à l’Afrique représentait la limite australe de la Terre. Contre les calomniateurs et les mauvais lecteurs du « polymathe » grec (un mot plus approprié qu’« encyclopédiste », terme désormais péjoratif aux yeux de De Quincey), l’auteur des Confessions d’un mangeur d’opium anglais rappelle dans son essai que les « histoires » d’Hérodote sont des enquêtes. Homme du monde antique, il respectait les traditions mais savait faire la part des choses : « Qu’il s’agisse de la crue annuelle d’un fleuve ou de l’origine d’un royaume célèbre dans des dépôts alluviaux, de l’événement soudain d’une bataille ou de la migration apparemment capricieuse d’un peuple, Hérodote traite de ces sujets avec une science qui les extirpe du merveilleux, ou des ressources d’habileté telles qu’il réussit au moins à suggérer le plausible. » D’ailleurs, note l’apologue, Hérodote n’a-t-il pas placé son ouvrage sous les auspices des neuf muses et non de la seule muse de l’Histoire Clio ? Ce qu’on goûte au fond dans cet Hérodote de De Quincey n’est pas tant la défense et illustration de l’historiographie ancienne, par une remise en contexte, mais l’éloge de « l’aîné des écrivains en prose ». Qu’importe que le Danube ne coule pas en sens inverse du Nil, le génie d’Hérodote demeure dans cette vision qu’incarne un style unique. Et l’on sent chez le polémiste esthète un plaidoyer pro domo : « Si le prosateur avait pour seul privilège et seule authenticité le fait de se dispenser des carcans du mètre, ce serait là en effet un bien mince honneur que d’avoir été le Père de la Prose. […] Pour bien marcher, il ne suffit pas de s’abstenir de danser. »