Jerusalem Post, 29 juillet 2008, par Jordana Taieb

Poésie, art, paysage et histoire

À l’orée du XIXe siècle, un voyageur anglais cultivé parcourant les immensités brûlantes de la colonie du Cap, à l’extrémité de l’Afrique, avait le plus grand mal à décrire la singularité du paysage. Que dire d’un lieu désertique sans eau, sans couleurs ? Est‑ce l’Eden ? Est‑ce un lieu pré‑adamique sur lequel l’influence divine ne s’est pas encore étendue ? Est‑ce l’enfer ?

« Le paysage (par opposition au terrain) est toujours appréhendé à travers un modèle de représentation. »

Ce rapport au paysage africain a déterminé l’impasse des rapports historiques des différents colons, néerlandais puis anglais, à la population autochtone. Coetzee en fait une démonstration vertigineuse et originale s’appuyant sur des poèmes, des descriptions ou les théories esthétiques à disposition : le « beau » et le « pittoresque ».

Quittant l’Afrique pour les États‑Unis puis l’Allemagne du début du XXe siècle, Coetzee poursuit ses explorations du rapport entre paysage, peinture, poésie et histoire.

Aux États‑Unis aussi, les étendues sans fin suscitèrent des réactions allant de l’effroi à la jouissance édénique. Mais la notion de « sublime » permit de sortir de l’impasse de la vision européenne en Afrique pour apprivoiser le vertige :

« Voici les jardins du Désert, voici

Les champs non moissonnés infinis et splendides…

Je les tiens pour premiers,

Et mon cœur enfle, tandis que la vue dilatée

Embrasse l’immensité enveloppante […] » (W.C. Bryant)

Seulement, le sentiment du « sublime », remarque l’auteur, peut aussi servir à justifier toutes sortes d’idéologies, y compris expansionnistes. Le lien entre paysage et caractère national fut un thème majeur du nationalisme allemand au XIXe siècle.

J.M. Coetzee, prix Nobel de littérature 2003, souligne le risque auquel s’expose l’imagination de celui qui accepte non seulement de quitter ses paysages familiers, mais de s’en défaire.