L’Architecture d’aujourd’hui, par Jean-Claude Garcias
[…] Aussi difficile à situer dans la carrière de son auteur que dans l’histoire de l’art et de la culture italienne, ce Borromini se présente comme un travail des fifties étrangement enkysté dans le débat des nineties. Il peut à ce titre relever d’une analyse strictement positiviste : un bel objet sur beau papier bien encollé, cinquante pages de texte et soixante-dix illustrations.
Au-delà de la comparaison éculée avec le baroque plus officiel du Bernin, la thèse d’Argan est globalement la suivante : comme son contemporain Caravage en peinture, le sombre Borromini a pratiqué une architecture de l’excès. Argan s’intéresse surtout au « caractère à la fois archaïque et futuriste de l’œuvre », qui combine effectivement un style personnel jusqu’à l’autisme et un technicisme maniaque proche du gothique.Traits qu’on retrouvera chez Hawksmoor, qui partage aussi avec Borromini autodidaxie, caractère ombrageux et angoisse religieuse. Argan essaie de comprendre les réactions épouvantées de Milizia et Quatremère devant cette « œuvre de fou » ou « architecture à l’envers » : les néo-classiques sentaient confusément qu’il n’y avait pas que du « caprice » chez Borromini, que ses formes à rebours mettaient à mal leurs prétentions progressistes. Il note très justement que la tectonique borrominienne privilégie « les matériaux humbles et artificiels » comme la brique, le stuc et le plâtre, sans doute parce qu’il compte sur la technique pour « transformer ces humbles matériaux en matière précieuse ». Argan s’était fixé comme but la réhabilitation de Borromini après les procès posthumes que lui avaient intentés les classiques comme les modernes. Mission accomplie, encore que la dernière ligne du texte compare l’œuvre au « scintillant éclat d’une révolution manquée ». […] On trouvera difficilement un texte plus pénétrant et généreux. Une question demeure cependant : pourquoi diable Borromini s’est-il fait hara-kiri ?