Urbanisme, par Thierry Paquot
Peut-on écrire, ou raconter, une histoire de l’art ? L’art n’est-il pas toujours présent ? Argan discute les thèses de Venturi, de Panofsky, de Croce, revient sur Kant, Hegel et Wölfflin, et tente d’élaborer sa propre histoire critique de l’art sans cesse articulée à la biographie de l’artiste et à l’histoire des conditions de la création. Ambitieux projet qu’il expérimente, ici encore, sur Alberti, le maniérisme, Palladio, le Bernin et le baroque, avec le brio qu’on lui connaît. Là où il nous étonne davantage encore, c’est lorsqu’il interroge l’architecture du xviiie de Boullée et Ledoux, la ville moderne et ses conceptions urbanistiques, le design contemporain. Chaque article mérite une soigneuse lecture, et les deux pages qu’il consacre à Rome en particulier sont un modèle du genre. C’est le maire (de 1976 à 1979), le « spécialiste », le promeneur qui s’exprime et condense en quelques lignes ce qu’il ressent face à une cité saccagée par la spéculation et l’inculture des décideurs : « Rome est une ville interrompue parce qu’on a cessé de l’imaginer et qu’on a commencé à (mal) la projeter. » Cette promenade dans l’histoire de l’art et dans la façon dont on peut la penser, en ce siècle de la technique et de la raison, en ce siècle de l’effacement du religieux, en ce siècle de la banalisation du mécénat d’État, est salutaire. Elle montre que l’imagination va de pair avec l’indépendance de l’esprit. Argan est libre. Libre d’être en désaccord avec les idées dominantes. Ainsi, en 1969, il note : « Mais la ville, disait Marcile Ficin, n’est pas faite de pierres, elle est faite d’hommes. Elle n’est pas la dimension d’une fonction, elle est la dimension de l’existence. » Un an plus tard, en France, le président Pompidou invitait les technocrates à mieux adapter la ville à l’automobile…