Livres hebdo, 17 septembre 2010, par Jean-Maurice de Montremy
Ginzburg dans le labyrinthe
Comment le vrai, le faux et le factice s’entremêlent dans la connaissance historique. Carlo Ginzburg tire le fil.
« Les Grecs racontent qu’Ariane offrit un fil à Thésée. Grâce à ce fil, Thésée s’orienta dans le labyrinthe, trouva le Minotaure et le tua. Quant aux traces que Thésée laissa en entrant dans le labyrinthe, le mythe n’en dit rien. »
Ce bref apologue ouvre le recueil de quinze études consacrées par le grand historien italien Carlo Ginzburg (né en 1939) au rapport entre le fil – le fil du récit qui nous guide dans le labyrinthe de la réalité – et les traces de ceux qui ont parcouru ce labyrinthe. Il analyse ainsi de manière remarquable les rapports entre le vrai, le faux et le fictif qui sont au cœur du travail de l’historien. La littérature n’est jamais loin, chez lui. Son œuvre semble un laboratoire particulièrement fécond pour ceux qui s’interrogent sur le récit, la narration et le rapport qu’entretient la « fable » avec le réel.
On retrouve dans les études de Ginzburg son érudition et sa rigueur critique, mises au service d’une écriture splendide dont le fil guide le lecteur sans l’encombrer de savoir technique. Au-delà de ses sujets de prédilection – le médiéviste Ginzburg a renouvelé l’étude de la sorcellerie et des marges –, l’historien part sur les traces de Montaigne, de Voltaire, de Stendhal. À quoi s’ajoute un démontage attentif de tous les négationnismes : non seulement pour rétablir les droits du vrai mais aussi pour comprendre comment fonctionnent la perversion de l’Histoire et les trucages de la mémoire.
Fils de Natalia Ginzburg, Carlo était sans doute le mieux placé pour comprendre le passionnant rapport entre l’histoire et la littérature, entre la fiction et la non-fiction. Derrière cette distinction apparemment pragmatique, chère aux Anglo-Saxons, se déploie la complexité de la connaissance telle qu’elle se joue aujourd’hui.