Europe, avril 1991, par Jacques Gaucheron

Henri Meschonnic poursuit depuis longtemps déjà, – plus de vingt ans –, une très passionnante recherche, inlassablement. Livre après livre, il s’approche de ce qu’il appelle « la poétique », c’est-à-dire la discipline, ou l’attitude d’esprit, qui permettrait de rendre compte de la création poétique, de sa valeur, et mettant au centre de la préoccupation, le poème, ce fuyant objet qui échappe toujours aux pinces des entomologistes.

Ce n’est pas une tâche facile, et il ne faut pas s’attendre à lire ce livre comme un roman, d’autant que la pensée et l’écriture de Meschonnic sont parfois cocassement heurtées. Mais c’est une lecture enrichissante et qui donne à penser.

Il n’y a de poésie véritable que dans la mouvance de la nouveauté. Ce qui sans cesse enchérit sur le passé et sur l’histoire de la poésie, dialectiquement. La poésie s’écrit au présent, et vaguement un peu, au futur. Mais elle ne s’écrit pas pour s’attifer d’oripeaux poétiques. L’historicité, comme dit Meschonnic, est son domaine. C’est de ce côté-là que ses remarques enrichissent considérablement la réflexion, et notamment en incluant la restauration du sujet et la mise en avant du rythme comme constitutif du poème.

Pour défendre son propre cheminement, Meschonnic est amené à décrire longuement et à mettre en pièces les ouvrages, les théories, les attitudes conventionnelles et leurs sous-entendus. Il mène une sorte de guerre de mouvement, une guérilla intellectuelle, prenant ses adversaires à l’endroit et à revers, tantôt par des pointes subtiles, tantôt par des sarcasmes. Il a le don de la formule percutante, et dilapide des aphorismes qui surprennent ou qui inquiètent. Souvent, une ironie a contrario obscurcit le propos.

La pensée de Meschonnic est comme du vif-argent, aussi malaisée à appréhender parfois qu’une boule de mercure en liberté.

Aussi bien la tâche qu’il se propose n’est-elle pas facile. Puisque tout se tient, il est obligé de s’en prendre au dualisme comme philosophie, à l’esthétique, aux structuralismes, aux théories du langage et du signe, à la sémantique, à la stylistique… etc., et en premier lieu à ce qu’il appelle dans un autre livre «L’effet Heidegger». Mais bien sûr aussi à cette notion de modernité, dont on nous a, ces temps-ci, positivement ou négativement, rebattu, sans grande efficacité, les oreilles.

Il est impossible ici d’entrer dans une discussion même partielle. Il y faudrait des pages et des pages. Qu’il suffise de dire combien cet ouvrage est riche en aperçus, en ouvertures au poème. Par exemple à propos de la traduction. Tout un foisonnement d’analyses, théorie contre théorie. On s’étonne même que Meschonnic n’aille pas chercher ses alliés naturels du côté de la poésie. Les poètes sont souvent, au moins intuitivement, éclairants sur la poétique. À part quelques exemples empruntés à la poésie déjà faite, Michaux, Guillevic, Tsvetaïeva, il ne s’appuie guère sur des poèmes. Pourtant Meschonnic est poète lui-même et de qualité. Y a-t-il là deux versants d’un même homme, et qui s’ignorent ?