L’Arche, septembre 1990, par Jacques Eladan

La Voix de Meschonnic

À force de considérer la poésie comme « un langage dans le langage » (Valéry dixit), les poètes contemporains ont fini par créer une rupture profonde entre les poètes et le grand public. Ennemi des modes formalistes fondées sur le dualisme du signe comme de toutes les vieilleries poétiques, Henri Meschonnic pratique depuis vingt ans une poésie vivante basée essentiellement sur le rythme et qui revivifie le langage quotidien, par les échanges nouveaux créés entre les mots, les êtres et les choses comme on le voit dans son sixième recueil : Nous le passage, publié récemment par les Éditions Verdier. Pour Meschonnic, la poésie est une « voix dans la voix », car fidèle à l’esprit de la Bible, dont il a traduit certains livres avec une originalité remarquable, il oppose à l’écriture poétique élitiste, l’oralité-socialité qui fait du champ poétique un lieu privilégié de communication, ouvert à tous et une fête quotidienne par tous les échanges et les déplacements que cela entraîne :

« Nous le chant silencieusement passe en nous c’est lui que nous entendons ensemble et qui nous déplace d’un lieu à un autre lieu ce chant est notre voyage. »

Comme dans les autres recueils de Meschonnic, le thème juif, ici, n’est pas explicite mais il est dans l’intertexte par tous les passages vivifiants que l’auteur opère entre le langage, la poésie, la vie et l’histoire. Henri Meschonnic a l’habitude de publier toujours simultanément un recueil de poèmes et un essai théorique pour mettre en lumière les rapports intimes qui lient dans son écriture et sa réflexion, la théorie et la pratique. C’est ainsi qu’en même temps que Nous le passage, les Éditions Verdier ont publié son essai magistral : La Rime et la vie.