Mediapart, 18 février 2009, par Patrice Beray

Le rythme, c’est selon : Henri Meschonnic

La collection poche des éditions Verdier vient de s’enrichir d’un volume hors norme, avec la réédition de l’ouvrage théorique majeur d’Henri Meschonnic, Critique du rythme. La gageure éditoriale (plus de 700 pages) est à proportion de cette plongée dans l’inconnu de la création littéraire qu’est la poétique selon Henri Meschonnic.

Car c’est cela, la théorie, quand elle veut bien se convaincre que pour « savoir », il convient aussi de se laisser posséder par l’objet de sa recherche. Et comment pourrait-il en aller autrement quand on choisit, comme Henri Meschonnic, de fonder une « anthropologie historique du langage » (sous-titre de l’ouvrage) à partir du « lieu le plus vulnérable et le plus révélateur de ce qu’une société fait de l’individu » : la poésie.

Sans doute l’auteur de Critique du rythme se reconnaîtrait-il dans le Manifeste des neuf intellectuels antillais que Mediapart vient de publier ces jours-ci. Et par-delà même l’appel poétique de ces voix « outre-mêlées », contresignerait-il cette actualisation, cette historicisation de la vieille dialectique du maître et de l’esclave que ce Manifeste dénonce jusqu’à nous en cette insidieuse dialectique promue comme un nouveau « lien » de l’individu à la société, via les archétypes vampirisants du consommateur et du producteur.

C’est que tout comme ces voix « outre-mêlées », Henri Meschonnic pratique exactement le chemin inverse (éthique, poétique, politique) promouvant la reconnaissance de l’identité par l’altérité, ne sachant que trop bien, par l’histoire, que le prix à payer au bout du compte avec ces sinistres dualismes est toujours le même ; le retour du « même », avec la sempiternelle mise à mort du désir de l’autre, du désir chez l’autre.

Professeur émérite de l’Université Paris-VIII, poète, traducteur, linguiste théoricien du langage, Henri Meschonnic aime à filer une subtile dialectique, selon ses propres termes, entre la pensée du poème (la poétique) et le poème de la pensée (le poétique).

Il ne place rien plus haut que l’humour et la révolte dadaïste et surréaliste des années 1920-30. Et c’est cette attention « première » aux réalisations sensibles des poètes qui l’a mené à privilégier et les poèmes et les écrits théoriques des poètes sur tous autres écrits. De là, cette mise au jour du rythme par le poéticien qu’il est comme étant « le sens de l’imprévisible », « la réalisation de ce qui, après coup, sera dénommé « nécessité intérieure » ». Après coup, car avant tout on est à l’œuvre, on fait. « Aimer d’abord. Il sera toujours temps, ensuite, de s’interroger sur ce qu’on aime jusqu’à n’en vouloir plus rien ignorer. » Le mot est déjà d’André Breton.

Ainsi, cette conception du rythme d’Henri Meschonnic prend-elle le contre-pied des théories classiques du rythme, qu’il soit traité par les arts poétiques comme un supplément esthétique, ou comme un procédé qui n’excède pas le cadre de la communication « sémiotique ». Ce poéticien est toujours guidé par l’idée qu’une œuvre littéraire est « un langage qui en sait plus long sur nous que nous-mêmes ».

Depuis les années 1970, Henri Meschonnic œuvre avec force à une sortie du structuralisme dans les études littéraires par une théorie du langage enfin réconciliée avec la vie.

Lire un poème, c’est selon le rythme de la vie : le temps et l’espace qu’il nous donne.