Révolution, 14 juin 1991, par Henri Deluy
Ce sont des poèmes (il y a une « table des poèmes »), cela est dit, cela se voit d’emblée car le vers montre sa forme dès la première page. Il y a quatre-vingt douze textes ainsi découpés irrégulièrement : des vers au compte pair, d’autres au compte impair ; aucune majuscule, même en ouverture du poème, aucune ponctuation.
Cela se passe donc ainsi : les poèmes sont en vers (une exception : pour aborder le cimetière juif de Radom, Henri Meschonnic a comme besoin d’une dizaine de lignes de prose descriptive et informative), les poèmes sont en vers d’inégales longueurs, les frontières sont, le plus souvent, liées au sens. De ce point de vue, le lecteur du poète ne sera pas surpris ; celui-ci poursuit l’entente d’une écriture sans excès avec une métrique contemporaine sans fioritures.
Il n’en sera pas de même quant à la lecture des poèmes dans leur tout ; car, si l’on rencontre toujours ce vocabulaire et cette syntaxe simples, ce besoin d’une tendresse qui trouve à se dire dans les images d’un rapport au monde souligné par la douceur des choses et des gestes, le lecteur, qui déjà connaît l’œuvre poétique antérieure d’Henri Meschonnic (parue chez Gallimard, puis chez Verdier), ne manquera pas d’être saisi par l’affleurement d’un ton non pas nouveau mais autre. Le« je » d’un lyrisme qui ne se refuse pas est, plus encore qu’auparavant, prégnant ; tout comme le corps à corps des membres avec eux-mêmes, et des mots – pour dire sans avouer l’impuissance à signifier – qui se poursuivent pour se perdre (« je parle parce que je manque de mots »). De ces frottements aléatoires, légers (assez souvent proche d’un Éluard, aussi marqué par un aspect éthique fortement marqué) entre la surface des paroles, ce qui se lit sur la page, et les surfaces du sentiment, naissent d’un seul mouvement des poèmes d’une évidente clarté, d’une profonde lumière.
Avec ce nouveau livre (Nous le passage, Verdier), Henri Meschonnic réaffirme cette solitude de poète, au sein d’une œuvre dans son ensemble appuyée par un effort théorique d’envergure.
Une lumière, je disais une lumière, j’y crois.