La Liberté, 5 juin 2010, par Alain Favarger

La passion de lire

Grand lecteur et critique subtil, Jean-Pierre Richard, né à Marseille en 1922, reste l’auteur d’un essai lumineux, Littérature et Sensation (1954) sur Stendhal et Flaubert. Bien loin du jargon et d’une certaine cuistrerie qui feront florès par la suite dans la foulée du structuralisme. Fidèle à sa vision sensualiste du fait littéraire, l’auteur s’est aussi intéressé aux univers imaginaires de Chateaubriand, des romantiques en général ou de Mallarmé. Adepte des chemins de traverse et des vagabondages buissonniers, Jean-Pierre Richard nous revient avec un nouvel essai délicieux, intitulé Pêle-Mêle.Répondant aux injonctions puissantes du hasard et des affinités électives, il traque le fil ou l’inflexion du chant d’oiseau dans les textes d’un Yves Bonnefoy comme l’importance de la courbure dans les fantasmagories oniriques du poète. On voit aussi un autre grand rêveur, Paul Claudel, aux prises avec la pluie chinoise qui devient dans l’écriture le symbole d’un accord voluptueux avec le monde. Ailleurs on découvre quel enchantement peut susciter tel vers renversant de Marceline Desbordes-Valmore : « Les pigeons sans liens sous leur robe de soie ».

Mais Jean-Pierre Richard lit aussi les contemporains, offrant de belles approches des mondes intérieurs d’un Michel Jullien pour la réinvention passionnelle et très tactile de jouets ou d’objets perdus. Cependant que chez Stéphane, l’essayiste met à jour l’éloge d’une vertu peu valorisée par notre époque, la douceur, inséparable de cette autre qualité décriée : la lenteur proche de la simplicité du don. Cependant que les amateurs de ballon rond se délecteront du décryptage du dernier fait d’armes de Zidane en finale du Mondial de 2006 entre son penalty facétieux à la Panenka (un tir mou au centre même de la cible) et le malheureux coup de boule de la fin « qui l’élimine du jeu, achève sa carrière et fait perdre son équipe ».