Le Nouvel Observateur, 24 juin 2010, par Didier Jacob
C’est le plus grand critique actuel. Éloge de la lecture
Dans un recueil d’essais, Jean-Pierre Richard enquête sur la météo chez Claudel et sur la douceur chez… Zidane.
Rien de nouveau sous le « pêle-mêle » : c’est toujours sous l’apparence d’une sorte de léger (et diabolique) négligé analytique que les essais de Jean-Pierre Richard, inspiré comme jamais par le hasard de ses lectures, s’offrent à ses admirateurs. Comme s’il craignait aujourd’hui d’imposer désormais aux textes qu’il inspecte de trop lourds sarcophages intellectuels (Tchernobyl ?). Cet écrivain de lectures, au tact sans pareil (c’est l’art précis du pickpocket), se garde bien en effet de soumettre le désordre d’une œuvre à de trop contraignantes classifications. Laisser respirer un texte tandis qu’on l’analyse, n’est-ce pas le vœu que forme, d’abord, le titre de ce nouveau recueil ?
Mais le pêle-mêle, c’est aussi un état de la littérature qui tente Jean-Pierre Richard, le titille, le picote, le réclame. C’est le texte à l’état brut, avant que le liseur le plus doué du moment ne vienne promener sur lui sa fabuleuse lanterne. Un monde encore livré à des forces obscures dont, sans dénaturer les couleurs de la guerre, il analyse les poussées, les coups de force, les retraites forcées et les secrètes manœuvres. Chez qui ? Comme à son accoutumée, Richard pioche dans le répertoire, mêlant classiques et contemporains, vieux tremblons de la littérature (Bosco, Claudel), auxquels il sait comme personne donner un coup de jeune, ou marathoniens du verbe tout au début de leur course, des inconnus donc (Michel Jullien, Chrisotophe Pradeau).
Au-delà de l’intelligence de l’analyse, qui ne surprendra point les abonnés, l’admirable est que Richard écrive au fond toujours, sautant de Stéphane Audeguy (une réflexion sur la douceur qui le mène à décrire tel invraisemblable penalty tiré mollement par Zidane) à Gérard Macé ou à Jean Follain, poète presque oublié, le grand roman du sens. Son autobiographie aussi. Comment ne pas lire dans le premier chapitre du recueil, baptisé « Un chant d’oiseau », l’hommage de l’auteur à son collègue le plus aimé – le rossignol ? On sait Richard passionné par les gazouillis, tout comme Giono, ce « grand écouteur d’oiseaux », et capable comme lui de reconnaître n’importe quelle espèce de volatil au cui-cui qu’il profère. C’est donc ça, un critique ? « Une sorte d’accordeur infatigable », comme le dit Richard de son piaf préféré – mais on sent qu’en son âme et conscience c’est bien de lui qu’il parle : « Celui dont la voix, lancée au milieu d’un monde pêle-mêle, y rétablirait ou inventerait le mieux, dans une ivresse quasi poétique, une égalité toujours ouverte, une paix des choses. »