Nuit blanche, juin 1990, par Patrice Remia
Il vous faudra entreprendre la lecture de L’Œil du silence avec la plus extrême attention, sans cela vous risqueriez, au sens propre, d’y perdre votre latin et même votre grec ! Toute progression dans cette aimable jungle de mots savants devra s’effectuer à l’aide des nombreuses notes et traductions disposées en bas de page pour le réconfort du lecteur. Petit livre d’érudition donc dont le charme indéniable paraît reposer sur l’organisation de sa propre inutilité ; état bien rafraîchissant (l’inutilité) si l’on pense un instant à l’utilitarisme désolant et forcené qui ravage notre planète. Le lecteur, sans doute, ne manquera pas de songer à ces Byzantins du meilleur monde (théologique) qui débattaient à satiété et avec force détails du nombre d’anges susceptibles de se tenir debout sur la tête d’une épingle.
S’il reste malaisé de saisir le propos d’ensemble de l’auteur, en revanche une lecture par le menu vous conduira à d’intéressantes rencontres : saint Augustin, saint Ambroise, etc. Évagre le pontique, remarquable démonologue du monachisme égyptien vous en apprendra long sur les mauvaises manières de certaines créatures diaboliques. Dans les dernières longueurs, Friedrich Nietzsche fera une apparition remarquée quoique grandement énigmatique. Il serait cependant injuste de passer sous silence la traduction de l’italien au français (de Jean-Paul Manganaro et Camille Dumoulié) qui parvient à nous révéler la mystérieuse identité du héros de L’Œil du silence : le texte lui-même.