Réponse d’Henri Meschonnic
Comment on efface un travail de pensée
La lettre de Jean-Michel Maulpoix sur mon livre Célébration de la poésie (Verdier, 2001) est un chef-d’œuvre d’habileté, et si bien tourné qu’il retourne en dérisoire tout ce qui fait le moteur de ce livre, et, sous l’apparence des indignations de la vertu, c’est une déformation si malhonnête qu’il ne faudrait pas que la bonne foi des lecteurs de la Quinzaine littéraire en soit manipulée.
Il y a de la vilenie et de la diffamation à rabattre à un geste de délateur, dénonciateur lâche, bas et envieux (le « sycophante ») une réflexion de trente ans sur ce que fait le langage et ce que fait un poème. L’escamotage consiste à prétendre que le livre ne fait que « déguiser en débat » une liste haineuse, alors que ce livre est tout entier débat et combat, contre des clichés qui font le poétiquement correct d’aujourd’hui, du moins en France.
Et l’honnêteté minimale consisterait, je ne cesse de le dire, à ne pas faire cette confusion si commode pour la bien-pensance entre la critique, recherche des historicités et des fonctionnements, et la polémique, qui consiste à déformer ou réduire au silence. Donc, je ne ferais que « détruire », alors que depuis trente ans je construis une autre pensée du langage, et une « poétique du rythme ». Dont ce livre n’est pas séparable. Mais tout cela est effacé.
Le « langage précis de la pensée », qui est dans la continuité de mon travail, a disparu. Les raisons des « pourquoi » ont disparu, et « réfléchir, argumenter », ce que je ne cesse de faire, a disparu. Mais il est dit qu’il n’y a « pas un mot » sur l’écriture de la poétisation que je critique, alors que justement il y a de nombreux exemples, étudiés dans leurs clichés.
Restent, isolées de leur argumentation, comme des caricatures gratuites, des expressions satiriques qui sont en effet un pied de nez aux pouvoirs, aux chefferies de la vérité poétique officielle depuis trente ans. Crime de lèse-majesté. Et merci de monter en épingle deux fautes qui m’ont échappé, sur Becq au lieu de Beck – et Rémy au lieu de Dominique Fourcade – je les corrigerai si je peux.
Mais si une attitude « empêche de penser », c’est bien celle qui efface tout le problème poétique que je pose dans ce livre, et qui travaille à une critique des diverses définitions de la poésie, donc à une critique de certains poètes et de certains philosophes. L’incompréhension, la tricherie et la bêtise atteignent un sommet quand le titre de mon livre de poèmes Combien de noms (L’improviste, 1999) est mis sur le même plan que la « liste » du sycophante.
N’importe quel lecteur qui a le moindre sens de ce qu’est une pensée libre, et qui voudrait avoir une idée honnête de ce livre, aura compris qu’il lui reste à se faire sa propre opinion. Quant à la « liste du sycophante », je la mets au compte de la tératologie littéraire.