Bulletin critique du livre en français, septembre 2004
On appelle endophasie le discours intérieur qui aide la pensée à se structurer jusqu’à ce que le sujet en trouve l’expression juste et parvienne à l’oraliser. En un sens, cette parole aussi discrète que secrète, explicite silencieusement l’existence. À ce titre, elle a fait l’objet de multiples approches : psychologues, psychanalystes, écrivains, philosophes ont souvent fixé sur elle le faisceau éclairant de leurs analyses, mais, rarement ont-ils pu en saisir toute la protéiforme habileté à se protéger des inquisitions ou réquisitions trop pressantes. L’ouvrage de Gabriel Bergougnioux, éminent linguisticien, a choisi de traiter cet objet du point de vue de la linguistique comme étant une notion historique, dont l’émergence scientifique remonte à ces années de la fin du XIXe siècle qui virent la convergence progressive des différents modes d’approche de l’être dont la réunion a produit au XXe siècle l’ensemble des sciences humaines… Il s’agit donc, dans Le Moyen de parler, de ce que la linguistique peut dire de ce phénomène et de ce que ce dernier amène à repenser dans le domaine des théories linguistiques. Organisé en tresse autour de plusieurs questions et de quelques thèmes leur apportant réponse : la quote, la voix, connais-toi toi-même, comment dire ? qu’est-ce qu’entendre ? qu’est-ce que s’entendre ? qu’est-ce que comprendre, l’ouvrage dresse un panorama et un historique intéressants des études ayant eu trait à l’endophasie, mais son mérite le plus important est ailleurs. En effet, par le biais de cette analyse, G. Bergougnioux est en mesure de suggérer une perspective de renouvellement de la linguistique descriptive. Prenant l’exemple de Pluton dont l’existence invisible à l’œil et aux techniques télescopiques fut cependant démontrée par la prégnance des perturbations que la planète engendrait dans les cycles de ses voisines, l’auteur propose en effet d’analyser sur des enregistrements le jeu des paroles et leurs interférences, de sorte que l’outil ne soit plus l’association libre, ou le test psycho-moteur, et que – dépassant le positivisme de la connaissance réflexive – les propos intérieurs adressés à soi-même soient pris en compte au même titre que les énoncés objectivés par la parole explicite d’une altérité tangible. Ainsi sera mise en évidence la plurilinéarité de discours dans l’exercice de la langue. L’idée est indéniablement séduisante. Elle mérite d’être approfondie et vérifiée. L’auteur affirme que la démonstration en est en cours. Notes infrapaginales pertinentes, bibliographie diversifiée, en bref un ouvrage stimulant dont la lecture est à recommander.