Le Monde, 14 avril 1989, par Georges Balandier
La possession, la transe, se traduisent en termes de coupure et d’altérité. Le possédé, la possédée, sont d’abord exclus de la communauté avant d’y être rituellement réintégrés ; ils y paraissent étranges et étrangers avant d’y être rapatriés. Ce que démontre Clara Gallini en étudiant une variété du tarentisme méditerranéen, celle qui est apparue en Sardaigne. Ici, un petit animal, araignée ou fourmi, est par sa piqûre réelle ou supposée le déclencheur d’un danger, d’une crise, individuels et collectifs. C’est l’argia, la « bariolée », dont l’agression engendre un état toxique et un désordre psychique. Elle tient sa victime, elle l’habite, elle parle par elle ; elle la réduit à une sorte de folie. Durant trois journées, toute la vie s’organise autour de cette intrusion en un drame collectif dont l’argia (« patronne » de tous) est le centre. Le but est l’exorcisme, auquel contribuent une danse et des thèmes musicaux spécifiques. Pour qu’il réussisse, il faut contraindre l’esprit possesseur à révéler son identité : c’est la fonction de l’interrogatoire rituel. Découverte, l’argia est vaincue. Elle est l’une des « mauvaises âmes » qui « projettent leur propre tourment sur la personne qu’elles frappent ». Elle fait de l’accident un événement qui réveille d’autres drames et engage la collectivité tout entière.
À cette occasion, la communauté lutte avec les moyens du symbolique et du rite contre les désordres qu’elle porte cachés en son sein. C’est un jeu où l’ordre ravivé surgit du désordre montré par le recours aux procédés de l’inversion, de l’obscénité, de la provocation et de l’agression. Un jeu qui débouche sur la fête, sur l’accord rétabli et sur la réintégration de la victime qui retrouve sa norme et sa place dans les rapports sociaux.