La Liberté, 16 août 2008, par Jacques Sterchi
Des chevaux dans des grands espaces
Premier livre « initiatique », fiction de la fascination pour les déserts, les hauts pâturages et les chevaux.
Né en 1971, vivant actuellement au Japon, Tonino Devienne publiait récemment un premier livre étrangement envoûtant, Domaine de Breakdown. Une fable sur l’attirance irrépressible pour le désert, les grands espaces, les chevaux, la liberté. Dans les montagnes de la Drôme, un Américain a acquis peu à peu un vaste domaine de hauts pâturages, de caillasse, de pierriers presque inaccessibles. Là où tout était cassé (« Breakdown »), il a patiemment remis en état un refuge. Il a surtout réuni un millier de chevaux. Ces petits trotteurs mongols, rouges, comme il en avait connu lors d’un voyage dans les déserts de Mongolie. Il était alors photographe. Il ne s’attendait pas à une expérience quasi mystique sur le dos d’un petit cheval. Bien des années plus tard, c’est sa fille qui empruntera la même route. À la recherche de l’histoire de son père, du fantôme d’un cheval, bref d’une révélation.
Sur cette trame narrative plutôt ténue, Tonino Devienne déploie un talent pour la description serrée mais efficace. L’évocation des hautes terres de la Drôme, de la sécheresse et du vent, amène ingénieusement à celle, sans emphase, des déserts de l’Altaï et de Gobi. Là où l’humain ne fait que passer. Là où meurent les chevaux et où surgissent les spectres. Là où, nous dit aussi Devienne, l’on sent plus qu’ailleurs la liberté d’être à la limite entre une vie plus forte et une mort possible. Au passage, subtilement, le jeune écrivain note que tout comme l’expérience du désert, le roman c’est la liberté. Parce qu’on peut tomber…
Autre piste : le photographe américain qu’imagine Tonino Devienne a fait fortune dans les milieux culturels, en immortalisant des œuvres d’art, des peintres, ou encore en mettant sur le marché une image iconique, un nu.
Mais c’est dans l’exact opposé, la nature la plus brute, l’animalité la plus expressive, qu’il va chercher une sorte de salut nostalgique. Il ne fige plus les choses. Il ne fait qu’agencer la fluidité et la course folle du troupeau de chevaux sur des terres pas encore mises au cordeau par l’homme.
Un petit livre étonnant, profond, qui échappe au récit à messages tout en piégeant peu à peu le lecteur, le forçant à prendre en compte non pas une histoire ou un portrait psychologique, mais bien une réflexion sur notre liberté.