La Marseillaise, 13 avril 2008, par Claudine Galea
Les lèvres des chevaux
Tonino Devienne signe un texte hanté par l’amour des chevaux.
Première partie. Une maison et un élevage de chevaux. C’est le domaine de Breakdown quelque part dans les pré-Alpes françaises. Une petite fille – dite Catherine, Cathy, Kate selon les moments, les émotions, les états de l’histoire –, y vit, passionnément. Ses parents sont américains, d’anciens hippies. La possession ne les intéresse pas, le changement, oui, les métamorphoses avec son lot de pertes, de disparitions.
La disparition est en creux de ce livre, corollaire à la quête.
Deuxième partie. Histoire d’un voyage en Asie centrale et de la découverte des chevaux par son père, Bolan, en compagnie d’autres « frères » routards. L’amour inconsidéré de Bolan pour les chevaux de la steppe mongole. L’arrachement quand il revient, la folie des chevaux.
Troisième partie. Le Domaine va mal. Il est question de rachat, c’est‑à‑dire de défaite. Kate part à son tour en Asie. Sur les traces de son père ? Kate ressemble infiniment au voyageur précédent. Le nomadisme semble la voie, une échappée à un poids qui reste mystérieux, indicible. D’amour, pas question dans ce livre, et pourtant il en respire tous les signes : une quête d’absolu que les variétés des paysages, les immensités du monde n’épuisent pas. Kate est une fleur sauvage, un chardon. « Lèvre de chevaux est un des dix noms mongols pour désigner la fleur de chardon », dit le livre.
Tonino Devienne a le goût des mots, des noms, et des histoires qui leur sont accrochées.
Ses personnages s’appellent encore Le Prince, ou Max… « Breakdown » signifie dépression, c’est dire que la maison, le domaine, tout ce qui se rattache à la sédentarité est pesant, voire mortel. Que cherchent Bolan, puis Kate, à la rencontre du ciel et de la terre, dans les nuits fascinantes de la steppe mongole ? Kate parcourt le monde, Inde, Ceylan, Japon, Taiwan, Pékin… Elle fait des milliers de photographies, cherchant à voir quelque chose. L’image derrière le cliché ? L’ombre de son père, qui semble s’être dissous dans la steppe en compagnie de Red, le cheval tant aimé ?
Le voyage ne finit pas, ne se résout pas, le récit reste suspendu dans le temps, porté par une langue qui contrôle son lyrisme, joue avec les époques, la vérité et la légende, entre trivialité et chamanisme.
À peine 60 pages pour le premier récit de Tonino Devienne. Qui frémit du plaisir de raconter des histoires. À suivre.