L’Humanité, 20 octobre 2011, par Muriel Steinmetz

Pour Pavel Hak, le monde est encore plus noir que ça

Avec Vomito negro, le romancier traite (mais l’invente-t-il ?) d’une société ravagée par la prédation où l’être humain est une marchandise de peu de valeur.

Pavel Hak (quarante-neuf ans) émigré en France après avoir vécu dans l’ex-Tchécoslovaquie où il est né. Il écrit en français. Il sait très bien plonger son lecteur dans des récits stressants au fil desquels ses personnages, soumis à une plume froide et clinique, tentent de survivre coûte que coûte. Sa cible : un réel ultra sombre où les parties fines s’achèvent en meurtre, où l’être humain se réduit à sa valeur marchande et où les trafics en tout genre (de celui des organes à la prostitution en passant par la drogue) mettent en coupe réglée des pans entiers de territoire au nez et à la barbe de flics d’ailleurs corrompus. Après Sniper, Trans et surtout Warax – portrait en pied du malheur contemporain, servi par un récit haletant qui progressait sur quatre plans différents –, Vomito negro confirme le talent déroutant d’un auteur qui court-circuite nos habitudes de lecture. Cette fois, les personnages en jeu dans quatre histoires se croisent même si certains préféraient à coup sûr s’éviter. La lecture n’est plus aussi perturbante et la forme a gagné en fluidité. Partagé en parties d’égale longueur, Vomito negro brosse des situations, tendues d’emblée, dans des lieux moites comme cette île quelque part sous les tropiques des Caraïbes. Là, vivent d’un côté les laissés-pour-compte d’une économie vacillante, petits-fils d’esclaves qui traficotent pour vivre, de l’autre, des milliardaires dont les yachts mouillent au large, ceux-là atteints d’un autre mal : l’ennui des riches. Des terreurs anciennes viennent crever à la surface tout au long du livre qui raconte notamment les aventures d’un frère et sa sœur, descendants d’esclaves. La traite des noirs vécue dans sa chair par le père de ces deux héros résonne tout du long : la hantise du rapt est récurrente. Pavel Hak le qualifie ainsi : « C’est cette matière première, commercialisable en quantité, exportée au-delà de l’océan qui les rendrait riches. […] Chaque corps en bonne santé représentait de l’or. […] Ils n’étaient pas là pour exterminer. Leur but était la capture de l’être humain commercialisable. Bizness : rien d’autre. » Pareille plainte lancinante entre en résonance avec d’autres formes de trafics plus actuels car tout l’art de l’auteur consiste justement à faire vibrer en chambre d’échos des intrigues qui, à première vue, n’ont rien à voir ensemble. Pavel Hak parvient à donner une vision hallucinée d’un univers ravagé par la prédation où la créature humaine, somme toute, n’est qu’une marchandise un peu plus bon marché que les autres. Le slogan de ce monde infernal n’est-il pas : « N’est-il pas normal que certains périssent pour que d’autres vivent ? »